«Faudrait pas qu'il y ait de dommages. C'est trop beau. Il faut conserver ça», lance spontanément Marc Lafrance, près de la somptueuse rivière à saumon Jupiter, au pied d'une falaise de pierres stratifiées, sculptées par le temps et l'eau.

«C'est une géologie unique. La structure de l'île est comme ça d'un bout à l'autre. Si j'essaie de grimper, tout va débouler. C'est fragile. Si on fait des relevés sismiques avec des explosifs, et même plus tard de la fracturation hydraulique près d'ici, qu'est-ce que ça va faire?»

Marc Lafrance est sans doute le résidant de l'île le plus actif contre l'exploration et l'exploitation pétrolière. Il est en contact fréquent avec Marie-Hélène Parant, qui a lancé une pétition réclamant l'arrêt de l'exploration à Anticosti.

L'exploration, qui a commencé dans les années 60, s'est intensifiée avec l'arrivée des entreprises québécoises Junex et Pétrolia - qui a pour partenaire Corridor Ressources.

Leur présence inquiète plusieurs Anticostiens.

En ce moment, Junex procède à des levées sismiques dans le sol. Lors du passage de La Presse, en bordure de la seule route de La Loutre, 795 petits fanions indiquaient les endroits où Junex compte forer de petits trous de quelques mètres de profondeur. Dans ces trous, on insérera des explosifs, dont les détonations produiront des ondes. Le retour de celles-ci, capté par des instruments spécialisés, permettra de déterminer les endroits susceptibles de contenir du pétrole - et où on pratiquera dans un deuxième temps d'importants forages exploratoires.

Pour réaliser ces levées sismiques, Junex fait aussi déboiser 150 km de pistes en forêt. On ne parle pas d'une ligne droite, mais de plusieurs tronçons de trois mètres de largeur. On peine à les trouver en forêt tant ils sont étroits. En guise de comparaison, d'autres entreprises avaient laissé, au cours des dernières décennies, des «sentiers» de levées sismiques de plusieurs dizaines de mètres de largeur.

«Le déboisement, ils font très bien ça, comme ils avaient dit. Mon inquiétude, c'est ce qui suivra. Le forage», explique Marc Lafrance.

Il nous montre une «clairière» d'environ 200 mètres sur 200, déboisée par Pétrolia et son partenaire Corridor Ressources il y a quelques années. Elle a l'allure d'un cratère caillouteux avec, au centre, un puits fermé.

«Les dirigeants des compagnies nous disent que l'exploration est sans conséquence. Mais quand je vois ça, c'est déjà des conséquences. La forêt ne repousse pas ici parce que les chevreuils mangent tout. Ça va rester comme ça longtemps. Les pétrolières ont des fonds prévus en cas de catastrophe, mais pas pour restaurer les terrains», déplore-t-il.

La fracturation inquiète

Sa principale crainte: le passage au mode d'exploitation par fracturation hydraulique, un procédé similaire à celui décrié dans le dossier des gaz de schiste.

C'est probablement ainsi que pourrait être extirpée une partie des 40 milliards de barils de pétrole qui dormiraient dans la roche de l'île. Le schiste de Macasty de l'île d'Anticosti est, selon Junex, comparable à celui d'Utica, en Ohio.

«En Ohio, le schiste est très prolifique. J'ai déjà entendu le gouverneur de cet État remercier le Bon Dieu d'avoir un sous-sol aussi riche», affirme Dave Pépin, vice-président aux affaires corporatives chez Junex.

Pour l'instant, dit-il, les forages prévus sont de type traditionnel, donc sans fracturation, puisqu'un moratoire a cours au Québec sur ce procédé, le temps qu'une étude environnementale soit réalisée.

«S'il n'y avait pas de fracturation hydraulique, qu'on ne parlait que de pompage traditionnel, vous ne m'entendriez même pas», rétorque Marc Lafrance, qui croit que l'extraction par fracturation sera inévitable.

Extraire autrement?

De son côté, André Proulx, président de Pétrolia, affirme que son entreprise arrivera à extraire autrement le pétrole contenu dans la roche-mère.

Pour y arriver, Pétrolia prélèvera dans quelques semaines de nouveaux échantillons de sol afin de poursuivre ses expériences.

«Le problème de la fracturation, ce n'est pas la technologie, mais le type de liquide utilisé et l'intensité de la fracturation. On est en train de chercher une solution de rechange. Nous sommes pas mal certains d'avoir trouvé une réponse. On ne devrait pas utiliser d'eau pour fracturer. On pourrait par exemple réutiliser de l'huile qui vient de ce même sol», explique-t-il.

Il déplore le fait que les opposants à l'exploration dans l'île d'Anticosti ont peu de connaissances scientifiques pour appuyer leurs affirmations.

Mais pour les opposants, c'est l'inconnu qui fait peur.

«Si ça peut être fait de façon adéquate, sans danger environnemental, ça pourrait aller. Mais on ne sait pas. On se sent comme des cobayes. Nous sommes inquiets. Si des produits chimiques sont introduits dans le sol pour la fracturation, où ça va ressortir? Les chevreuils qu'on mange boivent dans les rivières, les poissons y nagent», explique Caroline Laflamme, caissière au dépanneur de Port-Menier.

«On craint que ça ne soit pas à notre avantage. Si on vient à exploiter, on a peur de manquer de place pour chasser et pêcher», ajoute Chloé Malouin.

«On aimerait plus d'information de la part des pétrolières. Tant qu'à ne pas savoir, on aimerait mieux que ça arrête», affirme Sonia Michaud, qui travaille au bureau d'information touristique.

«La question du pétrole cause des discussions animées ici. Il y a des gens qui croient que ça va apporter beaucoup d'argent dans le village. Ça reste à prouver. Pour l'instant, ça ne rapporte pas grand-chose», ajoute-t-elle.

Heureusement, le débat reste cordial. Marc Lafrance et le maire Denis Duteau, par exemple, ont des opinions diamétralement opposées sur la question pétrolière. Cela ne les a toutefois pas empêchés de militer ensemble pour tenter d'inclure l'île dans le Plan Nord - en vain.

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L'entente secrète

«L'entente entre Pétrolia et Hydro-Québec semble être la chose la plus secrète au gouvernement», affirme Marc Lafrance.

Il parle de ce fameux marché par l'entremise duquel Hydro-Québec a cédé à Pétrolia, en 2008, ses droits d'exploration pétrolière dans la quasi-totalité de l'île d'Anticosti. Il est impossible de connaître les sommes en jeu ou les conditions en vertu desquelles ces droits ont été cédés.

«On aimerait savoir si ça a été cédé pour une bouchée de pain ou non. Surtout si ça finit par rapporter gros aux pétrolières», ajoute Sonia Michaud.

«Ça m'intrigue, oui, mais ça ne me dérange pas du tout. C'est une compétence provinciale, les mines et les hydrocarbures. C'est sur mon territoire, mais ce sont aussi des terres publiques», dit le maire Denis Duteau.

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Les élections

Même si la campagne électorale bat son plein, les Anticostiens attendent peu de chose des politiciens.

«Le gouvernement nous oublie tout le temps. Les politiciens, on ne les voit jamais ici, même en campagne», déplore Caroline Laflamme.

«Je vois Jean Charest se promener pour son Plan Nord avec son petit casque. Mais il ne s'occupe jamais de nous. J'aimerais lui demander qu'il mette fin à ce qui se passe ici», ajoute Sonia Michaud.