À Londres comme à New York, les cours du pétrole se sont hissés encore plus haut hier, en raison des tensions qui continuent de secouer l'Égypte. Les craintes que le canal de Suez, par où transite près de 3 % du pétrole dont le monde a besoin, soit bloqué, continuent de dominer le marché.

Des craintes non fondées, estiment les observateurs interrogés hier. «Les risques d'une interruption sérieuse sont très faibles», estime Pierre Fournier, analyste géopolitique de la Banque Nationale.

Moins stratégique que le détroit d'Ormuz, situé en Iran, le canal de Suez est tout de même une route vitale entre la mer Rouge et la Méditerranée pour acheminer le pétrole du Golfe vers les marchés. Près de 3 millions de barils de pétrole brut par jour transitent par le canal et le pipeline construit en parallèle.

Ni les opposants ni le gouvernement n'ont intérêt à s'attaquer au canal et à perturber son fonctionnement, estime Pierre Fournier.

C'est aussi l'avis de Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l'Université de Sherbrooke. «C'est le cordon ombilical de l'économie égyptienne et de celles des pays du Golfe, dit-il. L'opposition n'a pas besoin de le bloquer pour avoir de la visibilité, elle en a déjà.»

Même si l'incertitude peut durer quelque temps, les risques que les problèmes actuels dégénèrent en guerre civile sont à peu près inexistants, estime le professeur Aoun.

Aucun des grands producteurs de pétrole de la région n'a encore été affecté par la contestation qui a pris naissance en Tunisie avant de se répandre dans les pays voisins.

Le risque que les problèmes sociaux se répandent dans les pays du Golfe et notamment en Arabie Saoudite existe, et c'est ce qui inquiète les marchés parce que, si ça arrivait, la production de pétrole pourrait être affectée.

«Je comprends que les marchés soient nerveux parce que l'Arabie Saoudite est le domino le plus dangereux de la région, dit Pierre Fournier. Mais s'il y avait une contestation populaire, elle serait très fortement réprimée. L'Arabie Saoudite, comme les autres pays du Golfe, ont en quelque sorte acheté la paix, explique-t-il, et la population ne voit pas comment un changement de régime pourrait améliorer son sort.»

Les monarchies pétrolières subventionnent en effet les produits de première nécessité et n'hésitent pas à faire des « cadeaux « à leur population. Les Koweïtiens, par exemple, viennent de recevoir l'équivalent de 3580 $US de leur gouvernement à l'occasion du cinquantenaire de l'émirat, rapporte l'Agence France-Presse.

Ça ne met pas ces pays à l'abri de toute contestation, mais ça réduit les risques de soulèvement «à la tunisienne».

Les problèmes en Égypte signifient toutefois le début d'une longue période d'instabilité dans la région, qui risque de maintenir les prix de pétrole à un niveau que la demande mondiale ne justifie pas, estime Mathieu d'Anjou, économiste de Desjardins.

«L'inquiétude est de retour, constate-t-il, et si les prix continuent de monter, ça peut être dangereux pour la reprise économique mondiale.»

La confiance des consommateurs est la clé, selon lui. Les prix élevés du pétrole se répercuteront à la pompe, ce qui aura pour effet de miner la confiance des consommateurs et de ralentir la croissance économique.

Tant que les problèmes restent concentrés en Égypte, une remontée durable des prix du pétrole est peu probable, estime-t-il lui aussi.

Pierre Fournier, de la Banque Nationale, est d'avis qu'on surestime le problème du pétrole, mais qu'on sous-estime les problèmes politiques qui découleront d'un changement de régime en Égypte.

«C'est le pays le plus important pour la stabilité politique du Moyen-Orient, explique-t-il. Tout nouveau régime sera plus antiaméricain et plus anti-israélien.»