«Je suis déçu du Québec inc. Je suis déçu de voir qu'il n'a pas réagi face à cette offre. Je trouve que c'est un peu cheap.»

Jean-Pierre Thomassin est directeur général de l'Association de l'exploration minière du Québec. Depuis que la minière québécoise Canadian Royalties a annoncé vendredi dernier qu'elle allait passer à des intérêts chinois, il a quelque chose en travers de la gorge.

«Tout le monde reconnaît que ça apporte beaucoup aux régions, l'industrie minière. Mais personne ne met une cenne là-dedans au Québec. C'est financé par Toronto, Vancouver, les États-Unis, les Chinois...»

«Il va falloir qu'on prenne un virage à un moment donné. Sinon, au fur et à mesure que nos entreprises grossissent, elles vont se faire acheter.»

Vous avez compris: le débat sur la perte des ressources naturelles à des mains étrangères est relancé.

Canadian Royalties est une petite entreprise d'exploration minière québécoise qui a découvert du nickel à Raglan, dans l'extrême nord du Québec. L'entreprise a commencé la construction d'une mine... avant de se faire couper les ailes par la crise financière.

Faute de fonds, elle a mis son projet sur la glace en attendant des jours meilleurs.

Au mois d'août, un consortium formé d'un géant chinois du nickel (Jilin Jien) et d'une minière de Vancouver (Goldbrook) a cogné à la porte avec une offre hostile.

Canadian Royalties a tout fait pour trouver une solution de rechange. En vain. Elle a tout de même réussi à faire monter l'offre de Jien de 148,5 millions à 192 millions de dollars. Vendredi dernier, elle recommandait à ses actionnaires de l'accepter.

«Raglan, je vous le dis, c'est LE camp minier du XXIe siècle, dit M. Thomassin. Le nickel est un métal très rare qui va devenir de plus en plus important. Or, il n'y aura plus un seul acteur québécois là-bas.»

Si Canadian Royalties passe bel et bien aux mains de Jien, les trois principales entreprises actives dans le nord du Québec seront en effet suisse (Xstrata), britannique (Anglo-American) et chinoise (Jien).

Sur le rôle de la Caisse

Selon M. Thomassin, le cas montre que, même si le Québec est nommé meilleure juridiction du monde dans l'industrie minière année après année par l'Institut Fraser, il compte très peu d'acteurs importants capables d'acheter les entreprises juniors prometteuses.

Quant à savoir si la Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité de la FTQ, deux des plus importants prêteurs de Canadian Royalties, auraient dû intervenir, c'est un autre vieux débat... que M. Thomassin n'hésite pas à rouvrir.

«Elles auraient pu investir, tranche-t-il. Ou, à la limite, supporter un white knight (une entreprise qui aurait sauvé Canadian Royalties des mains de Jien).»

Josée Lagacé, porte-parole au Fonds de solidarité, explique que le Fonds fait tout pour garder les sièges sociaux au Québec. «Dans ce cas, on avait déjà prêté 20 millions et les sommes nécessaires pour relancer l'entreprise étaient trop importantes pour nos coffres à nous», explique-t-elle, rappelant que le projet était sur la glace depuis un an. La Caisse de dépôt n'a pas voulu commenter le dossier, mais a rappelé qu'elle agit toujours dans l'intérêt de ses déposants.

«C'est vrai que, pour le minier, on n'est pas dans la game, constate Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance des institutions privées et publiques. On a essayé à travers Cambior, à travers la SOQUEM (filiale de la SGF), de bâtir une expertise minière au Québec. Il faut reconnaître que c'est un échec. On n'a pas pu bâtir de grands groupes», dit l'ex de la Caisse de dépôt, qui souligne toutefois que la perte de sociétés est inévitable quand on choisit de «jouer le jeu du capitalisme».

«De la même manière que beaucoup d'entreprises canadiennes vont exploiter les ressources minières de certains pays, il faut accepter que des entreprises étrangères exploitent des ressources chez nous si ça se fait dans un cadre légal», dit aussi Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé à HEC Montréal, qui parle dans ce cas de «protectionnisme mal placé».