Les débats en Cour sur la protection de faillite de la société papetière AbitibiBowater risquent de s'échauffer au début de la semaine prochaine, au palais de justice de Montréal.

Car hier, alors que la papetière plaidait encore le péril financier grave face à ses créanciers et ses travailleurs inquiets pour leurs régimes de retraite, on apprenait qu'elle avait consenti une prime de départ de 17,5 millions US à son ex-président, John Weaver.Cette indemnité spéciale a été allouée au cours des derniers mois alors qu'AbitibiBowater s'enlisait sous le poids de sa dette et de la déprime de ses marchés du papier journal et du bois de sciage.

De plus, dans son rapport annuel 2008 tout juste déposé à la SEC américaine, on constate que la prime de M. Weaver s'est ajoutée à une rémunération de 7,5 millions US obtenue lors de ses sept derniers mois en poste, de janvier à juillet 2008.

Aussi, cette rémunération pour 2008 était déjà deux fois plus élevée que les 3,6 millions US obtenus en 2007, lors d'un exercice complet.

Ces chiffres ne sont pas parvenus en cour hier, où les délibérations portaient plutôt sur les conditions du financement d'urgence de 100 millions US offert par Québec.

Néanmoins, ils ont vite suscité des commentaires à l'extérieur du tribunal.

«Une telle prime de départ à John Weaver est carrément scandaleuse et immorale, d'autant qu'il fut l'un des grands architectes du fiasco d'AbitibiBowater», a clamé Gaétan Ménard, directeur du syndicat SCEP qui représente 7500 des 11 000 salariés de la société papetière au Canada.

Du côté du ministre québécois des Finances et du Développement Économique, Raymond Bachand, qui vient d'autoriser l'aide de 100 millions US, on indiquait hier que la décision d'AbitibiBowater d'indemniser ainsi son ex-président ne compromettait pas l'aide financière.

«C'est à l'entreprise de défendre et d'expliquer sa décision d'accorder cette indemnité de départ à son ex-président. En ce qui nous concerne, c'est une décision qui remonte bien avant notre intervention d'urgence pour aider une entreprise qui emploie 7500 personnes au Québec», a indiqué Anne-Sophie Desmeules, attaché de presse du ministre Bachand.

Une consolation, toutefois, du point de vue des employés et retraités d'AbitibiBowater.

L'ex-président John Weaver n'a pu encaisser que le quart environ de son indemnité de départ -soit 4,5 des 17,5 millions US alloués- avant que la papetière ne se place sous la protection de la Loi sur les faillites, le 17 avril.

Par conséquent, le solde promis à l'ex-président s'est ajouté aux créances figées par le processus judiciaire, et pour lesquelles tout paiement extraordinaire doit être autorisé par un juge de la Cour supérieure.

D'ailleurs, une situation semblable vaut pour les 28 millions d'indemnités de fin d'emploi promis par AbitibiBowater aux centaines de travailleurs licenciés lors de la fermeture d'une usine à Terre-Neuve, en mars dernier.

Deux poids, deux mesures

Gaétan Ménard, du syndicat SCEP, a souligné une différence importante des deux situations.

«Ces travailleurs licenciés n'ont rien obtenu avant la déclaration d'insolvabilité d'AbitibiBowater, alors qu'il s'agit de pain et de beurre pour eux. L'ex-président Weaver, lui, a pu encaisser une partie de ses millions en indemnité même s'il en avait pas vraiment besoin.»

D'ailleurs, le SCEP envisage d'intervenir en cour à ce propos au début de la semaine prochaine, à l'occasion de la reprise des délibérations entre les avocats d'AbitibiBowater et ceux de ses créanciers.

D'autant plus qu'elles reprendront lundi au sujet des intentions de la papetière de surseoir à des millions de dollars en paiements aux régimes de retraite de ces milliers de salariés et retraités au Canada.

Par ailleurs, AbitibiBowater attend encore l'approbation en cour de l'aide financière extraordinaire de 100 millions US proposée par le gouvernement du Québec.

Cette aide est en fait une garantie de la société d'Investissement Québec sur une marge de crédit spéciale consentie par la Banque de Montréal.

Toutefois, cette garantie est conditionnelle à l'obtention d'une première priorité parmi les créanciers d'AbitibiBowater, ce que plusieurs d'entre eux ont déjà entrepris de contester en Cour.