Les employés d'AbitibiBowater étaient déjà inquiets pour leurs emplois et pour leurs caisses de retraite. Maintenant que l'entreprise a décidé de se placer sous la protection de la loi, leur stress a monté d'un cran.

«On aurait souhaité qu'ils s'entendent avec leurs créanciers, a commenté hier Renaud Gagné, vice-président du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP-FTQ), qui représente 7000 des 7500 employés d'AbitibiBowater au Québec.

 

«La restructuration est une étape très douloureuse qui suscite beaucoup d'inquiétudes», a-t-il dit, surtout pour les retraités qui sont encore plus nombreux au Québec (8900) que les travailleurs actifs (7500).

L'échec de la restructuration judiciaire d'AbitibiBowater serait le pire des scénarios pour les retraités, qui pourraient voir disparaître leur principal moyen de subsistance.

Cette éventualité, le ministre fédéral Jean-Pierre Blackburn refuse de l'envisager. L'annonce d'hier n'est pas un pas de plus vers la faillite, mais «un pas de plus pour s'en sortir», estime le ministre qui représente la circonscription de Roberval où AbitibiBowater est un gros employeur. «Pour l'instant, les usines fonctionnent et les emplois sont toujours là».

Selon le Conseil québécois de l'industrie forestière du Québec, l'industrie de la forêt est un plus gros employeur au Canada (825 000 emplois) que l'industrie automobile (500 000 emplois).

Ottawa a pourtant offert des milliards à GM et Chrysler et rien à l'industrie de la forêt et à AbitibiBowater en particulier, la plus grosse entreprise de ce secteur.

Le ministre Blackburn estime que le gouvernement fédéral ne peut pas aider financièrement AbitibiBowater sans s'attirer des représailles en raison de l'accord canado-américain sur le bois d'oeuvre. De toute façon, dit-il, le problème d'Abitibi, c'est que «son marché n'est plus là».

À Québec, les ministres Claude Béchard et Raymond Bachand se sont montrés plus ouverts à aider AbitibiBowater. Il faut dire que la moitié des employés de l'entreprise sont au Québec (7500 sur 14 000) et qu'AbitibiBowater est un employeur important dans 30 villes et villages de la province.

Des scénarios dans lesquels Investissement Québec et la Société générale de financement interviendraient sont examinés, a indiqué le ministre des Finances et du Développement économique, Raymond Bachand.

«Il y a des discussions en cours pour du financement intérimaire (...) Peut-être qu'Investissement Québec interviendra au niveau d'une garantie», a avancé Raymond Bachand.

Hydro-Québec a accepté récemment d'acheter pour 615 millions la part de 60% appartenant à Abitibi dans une centrale électrique à Baie-Comeau. Même si elle en a grand besoin, cet argent n'est toujours pas dans les coffres de l'entreprise. Hier, le ministre Raymond Bachand a expliqué que la transaction était compliquée, mais qu'elle n'était pas mise en danger par la décision d'Abitibi de se mettre à l'abri de ses créanciers pour se restructurer.

D'autres pertes d'emplois

Du côté syndical, on estime que les travailleurs ont déjà fait tout ce qu'ils pouvaient pour aider AbitibiBowater. C'est au tour des gouvernements d'intervenir, a lancé le président national du SCEP, Dave Cole. «Nous voulons l'assurance que les pensions des travailleurs et des retraités seront protégées», a-t-il dit.

La restructuration d'AbitibiBowater risque de se traduire par d'autres licenciements, mais les syndiqués du Québec espèrent que ce ne sera pas dans leurs usines. L'usine de Kénogami, au Saguenay, a le meilleur coût de production par tonne de toutes les usines d'Abitibi, a souligné le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudreault.

Cette usine est située proche de son approvisionnement en bois et possède une centrale hydroélectrique pour son approvisionnement en énergie.

L'usine de Baie-Comeau dispose des mêmes avantages, et a déjà été jugée «stratégique» par la direction d'Abitibi.

Le député de Jonquière espère que ces avantages seront pris en compte dans la restructuration de l'entreprise. Il souhaite aussi que le gouvernement du Québec s'assure que la centrale hydroélectrique du Saguenay continue d'alimenter l'usine, si elle devait être vendue.

Selon les syndicats, c'est la fusion avec Bowater en 2007 qui a conduit Abitibi-Consolidated au bord de la faillite, parce que les deux entreprises étaient déjà lourdement endettées.

Mais selon Greenpeace Canada, AbitibiBowater a fait son propre malheur en ne prenant pas le virage vert.

AbitibiBowater est «une des pires sociétés forestières en matière de protection des forêts», selon Mélissa Filion, de Greenpeace Canada.

Plusieurs gros clients d'Abitibi ont mis fin à leurs contrats et ont réduit leurs achats parce que l'entreprise n'a pas de produits certifiés FSC, une norme qui assure que la forêt est exploitée de façon responsable.

Des entreprises comme Rona, Transcontinental et Rogers sont au nombre des clients qu'a perdus Abitibi-Bowater en ignorant les préoccupations environnementales de ses clients, selon Greenpeace.

 

ABITIBIBOWATER EN UN COUP D'OEIL

Activités : producteur de papier journal (#1 en Amérique du Nord) et de bois d'oeuvre

Siège social : Montréal

Chiffre d'affaires (1) : 6,6 milliards US

Perte nette (1) : 1,05 milliard US

Actif total (1) : 9,9 milliards US

Dette totale (1) : 8,8 milliards US

Valeur boursière : 32 millions CAN (Toronto, au 15 avril)

1: Résultats pour les quatre trimestres complétés au 30 septembre 2008 (résultats de fin d'exercice 2008 encore manquants)

Source: AbitibiBowater, Bloomberg

 

ABITIBIBOWATER AU QUÉBEC

> Plus gros producteur de papiers (journal, impression) et de bois d'oeuvre

> 9 usines papetières et 22 usines de sciage

> 7500employés et 9000retraités pensionnés dans la plupart des régions

> Siège social à Montréal (400 employés)

> Concessions couvrant 35% des forêts publiques

> Centrales hydroélectriques à Saguenay et Baie-Comeau (en voie de vente à Hydro-Québec)

Source: AbitibiBowater