Face à l'échec de ses nombreuses tentatives de restructuration financière, la forestière AbitibiBowater (t.abh) n'a eu d'autre choix: elle s'est placée jeudi sous la protection des tribunaux aux États-Unis et le fera vendredi au Canada.

«S'il est vrai que l'histoire se répète, n'oublions pas que la faillite de l'une de nos sociétés antérieures, Abitibi, pendant la Grande Crise, a été suivie d'un retour de la société et de sa prospérité pendant les nombreuses décennies qui ont suivi», a déclaré le président du conseil d'administration, Dick Evans, dans un message affiché sur le site web de l'entreprise montréalaise.

«Les décisions annoncées aujourd'hui assurent la poursuite des activités pour AbitibiBowater et ont été prises uniquement après épuisement de toutes les autres options viables de refinancement de nos dettes à long terme», a expliqué le président et chef de la direction de la forestière, David Paterson.

«Le conseil et la direction croient que les mesures prises aujourd'hui permettront à la société d'effectuer les changements nécessaires pour assurer sa viabilité à long terme», a ajouté M. Evans, ancien grand patron de Rio Tinto Alcan.

«AbitibiBowater compte tirer parti de ce processus pour régler définitivement le fardeau de sa dette», a précisé l'entreprise dans un communiqué.

Cela faisait des semaines qu'AbitibiBowater tentait de restructurer sa dette de plus de 6 milliards de dollars US dans le cadre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, mais en vain. Les procédures se poursuivront désormais en vertu du chapitre 11 du Code des faillites dans l'Etat du Delaware, aux États-Unis, et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies au Canada.

Syndiqués

«C'est un désastre, mais ce qui devait arriver arriva», a commenté Gaétan Ménard, secrétaire-trésorier du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP), qui représente plus de 5000 employés canadiens d'AbitibiBowater, la vaste majorité au Québec

Le SCEP impute une grande partie des problèmes d'Abitibi au gouvernement fédéral, qui refuse d'accorder des garanties de prêt aux entreprises forestières. Selon Ottawa, une telle aide contreviendrait à l'Accord sur le bois d'oeuvre signé avec les États-Unis en 2006.

«C'est de la «bullshit, a lancé M. Ménard. On a des avis juridiques qui disent que ce n'est pas vrai, on a des Américains qui disent que ce n'est pas vrai. Comment ça se fait qu'à l'heure actuelle, (le président américain) Barack Obama peut, lui, offrir des subventions à ses industries de la pâte kraft de l'ordre de 200 $ US la tonne et que personne ne dit rien, mais qu'ici, au Canada, on ne pourrait même pas offrir des garanties de prêt au prix du marché?»

Le SCEP se réjouit que le gouvernement de Stephen Harper vienne massivement en aide à l'industrie automobile, concentrée en Ontario, mais il déplore qu'Ottawa se montre plus discret dans le secteur forestier. «Ils ont lancé la serviette sur cette industrie-là», a lâché le porte-parole du SCEP.

Le syndicat appréhende de nouvelles suppressions de postes. «Bien sûr, il va probablement y avoir des fermetures d'usines, on va suivre ça de près, mais on craint aussi pour nos régimes de retraite», a souligné Gaétan Ménard.

Pour le SCEP, la survie d'AbitibiBowater ne passe pas par de nouvelles concessions syndicales: il y en a eu suffisamment au cours des dernières années, soutient-on.

«On ne croit pas qu'aujourd'hui, c'est en déchirant nos conditions de travail qu'on va sauver cette industrie-là, a affirmé M. Ménard. Les coûts de main-d'oeuvre ne sont pas très élevés par rapport à l'ensemble des coûts dans ces usines-là.»

Dans le contexte délicat d'une restructuration, le syndicat réserve peu de critiques aux dirigeants d'Abitibi. «On aurait aimé plus de transparence, parce que c'était difficile d'avoir des informations sur la situation», s'est limité à dire le porte-parole.

Afin de payer les salaires, avantages sociaux et autres frais d'exploitation pendant le processus judiciaire, Abitibi a obtenu une somme totale de 410 millions de dollars US. Quelque 200 millions de dollars US découleront d'un engagement de financement de type «débiteur-exploitant» conclu avec son principal actionnaire, Fairfax Financial Holdings, et la firme Avenue Management, tandis que 210 millions de dollars doivent provenir de la prolongation du programme de titrisation visant les comptes débiteurs de la société. Les tribunaux devront approuver ces ententes. D'autres possibilités de financement sont également à l'étude.

Jeudi matin, les Bourses de Toronto et de New York ont suspendu la négociation sur l'action d'AbitibiBowater. Le titre avait clôturé à 61 cents à Toronto mercredi. Il plongera probablement lorsque les échanges reprendront, à une date encore indéterminée. La Bourse de Toronto a annoncé jeudi que son examen relatif à la radiation de l'action d'Abitibi allait désormais suivre la procédure «accélérée».

AbitibiBowater est l'un des plus importants employeurs canadiens du secteur de la foresterie, donnant du travail à environ 9500 personnes. Plus important fabricant de papier journal en Amérique du Nord, l'entreprise exploite 23 usines de pâtes et papier et 30 usines de produits du bois aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Corée du Sud. En tout, Abitibi compte environ 15 000 employés.