Tous les chercheurs s'entendent: le sommeil favorise la productivité, la créativité, l'attention, la mémoire... Et si le dodo devenait le meilleur ami du boulot?

Alice était convaincue de pouvoir concilier sa carrière d'enseignante au primaire et ses études à la maîtrise. Mais rapidement, elle s'est trouvée débordée. «J'ai commencé par sacrifier une heure ou deux de sommeil par nuit pour écrire mon mémoire ou corriger les examens de mes élèves, raconte la femme de 28 ans. Puis, mes nuits sont devenues de plus en plus courtes. Je dormais en moyenne trois heures par nuit. À ceux qui me disaient que j'étais cernée, je répondais que j'avais l'intention de dormir une fois morte!»

Le cas d'Alice est loin d'être isolé. Qui n'a jamais réduit ses heures de sommeil pour terminer un dossier ou répondre à ses courriels? Dans une société où la culture du travail est plus forte que celle du repos, où la sieste au boulot demeure encore taboue, le sommeil est souvent perçu comme l'ennemi de la productivité. On ferait cependant fausse route.

«Plusieurs pensent qu'ils abattront plus de travail en réduisant leurs heures de sommeil ou en alignant les nuits blanches, alors que c'est plutôt l'inverse, affirme Charles Morin, professeur en psychologie à l'Université Laval et auteur de Vaincre les ennemis du sommeil. Une bonne nuit nous permet d'emmagasiner des choses dans notre mémoire, d'être de meilleure humeur, d'être plus productif et concentré et sans doute de faire preuve de plus créativité.»

Au contraire, la fatigue cause des problèmes d'absentéisme et de présentéisme. Elle provoque des erreurs et met en danger la sécurité des travailleurs: le manque de sommeil serait à l'origine de la marée noire de l'Exxon Valdez et de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. «Après 21 heures d'éveil, la performance cognitive d'un individu est aussi affectée que s'il présentait un taux d'alcoolémie de 0,08», souligne le professeur Morin.

Il n'est pas nécessaire de souffrir d'insomnie pour en arriver là. «Une restriction de sommeil d'une heure par soir qui se cumule d'une journée à l'autre peut affecter les performances autant qu'une nuit passée debout», remarque la Dre Diane Boivin, directrice du Centre d'étude et de traitements des rythmes circadiens à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, qui a écrit le guide Le sommeil et vous - Mieux dormir, mieux vivre.

Pourtant, pendant la semaine, la moitié de la population passe moins de sept heures par nuit dans les bras de Morphée. On recommande plutôt entre 7,5 et 8,5 heures de sommeil.

Alice a fini par faire les frais de son manque chronique de sommeil. «J'avais du mal à gérer ma classe, j'oubliais mes rendez-vous et mon mémoire n'avançait plus». Au bout de quelques mois, elle n'a eu d'autre choix que de demander un congé de maladie et de prendre une pause de ses études.

Des horaires pour les lève-tôt et les lève-tard

Difficile d'évaluer combien coûte la fatigue des employés aux organisations. On sait toutefois que l'insomnie entraînerait des pertes de productivité d'une valeur de 5 milliards de dollars au Québec, selon une étude publiée par Charles Morin et son équipe en 2009.

Malgré tout, il est très peu question de sommeil dans les programmes de bien-être dans les entreprises. «Certains secteurs, comme ceux de la santé et des transports, sont cependant plus préoccupés par la gestion de la fatigue en raison des accidents possibles et de leurs implications légales», précise Dre Boivin.

Dans un monde idéal, ajoute-t-elle, tous les travailleurs auraient un horaire de travail correspondant à leur tendance naturelle de sommeil. Les lève-tôt et les lève-tard ne sont pas des mythes. Ils existent et s'adapter à leur horaire est bénéfique. La Dre Boivin l'offre aux employés de son laboratoire et les résultats sont encourageants. «J'exige que tous soient présents à un certain moment de la journée pour faciliter les réunions d'équipe, mais autrement, les horaires sont flexibles. Non seulement personne n'en abuse, mais tous sont plus productifs et plus heureux au travail.» Elle recommande aux organisations qui souhaiteraient en faire l'expérience de consulter d'abord un spécialiste du sommeil.

Huit trucs pour mieux dormir

1. Couchez-vous et levez-vous aux mêmes heures tous les jours.

2. Accordez-vous une période de détente en soirée avant d'aller au lit, de préférence dans une pièce où la luminosité est faible.

3. Réservez votre chambre à coucher pour le sommeil et les activités sexuelles.

4. Sortez tous les écrans de votre chambre: télévision, téléphone intelligent et tablette.

5. Évitez la caféine, le tabac ou l'alcool avant de vous mettre au lit.

6. Si vous avez du mal à trouver le sommeil, ne regardez pas votre cadran! Levez-vous et ouvrez un livre.

7. Ne faites pas d'ulcère si vous ne dormez pas les 7,5 à 8,5 heures prescrites chaque nuit. Personne n'est un parfait dormeur! Une telle obsession nuira à votre sommeil.

8. La nuit a été difficile? Un roupillon d'une durée de 20 à 40 minutes effectué avant 15h vous requinquera.