«Quand je vendais Le Solano, dans le Vieux-Port, on me posait toujours la question: «Où est-ce qu'on va faire notre épicerie? " Dans le quartier, c'est affreux, il n'y a rien», raconte Daniel Lalonde, aujourd'hui responsable des ventes et du marketing de la luxueuse tour de 33 étages Altitude, rue University.

Même s'il a changé de quartier, les acheteurs potentiels lui demandent toujours à quel endroit ils pourront faire leurs courses. Parmi les «véritables intéressés», il estime que «deux ou trois sur cinq» le questionnent à ce sujet. Ses statistiques étaient similaires quand il travaillait pour le projet Roc Fleuri, rue Drummond, se rappelle-t-il.

Michael Engels, directeur des ventes et du marketing des Condos Crescent, estime que seulement 10% de ses clients potentiels se renseignent sur les épiceries à proximité étant donné «qu'ils font eux-mêmes la recherche sur l'internet». Il faut aussi dire que sur la page web du projet, une carte montre les épiceries du quartier et précise à quelle distance elles se trouvent de l'immeuble.

Daniel Lalonde indique par ailleurs que l'alimentation est une préoccupation assez importante des clients pour encourager les promoteurs d'immeubles de condos à prendre contact avec les grandes chaînes d'alimentation et les fruiteries pour les convaincre de louer un espace dans leur rez-de-chaussée. Il l'a lui-même fait pour de nombreux projets immobiliers. «Si on avait pu avoir une épicerie dans l'Altitude, c'est certain que ç'aurait été bon pour nous, dit Daniel Lalonde. Mais il faut avoir plus de 10 000 ou 15 000 pi2 à offrir aux commerçants, sinon, ça ne les intéresse pas.»

Si Adonis s'est établi dans Le Séville et Fou d'ici dans le Louis Bohème, ce n'est pas monnaie courante à Montréal. Les loyers sont élevés (entre 35 et 50$ le pied carré, par année), tandis que l'entreposage et l'approvisionnement sont laborieux compte tenu du manque d'espace.

«Pour réaliser le même volume de vente, une petite épicerie coûte beaucoup plus cher de main-d'oeuvre», ajoute Sam Erimos, copropriétaire des Supermarchés PA.

Désintérêt des investisseurs

Dans la Tour des Canadiens, ceux qui ont acheté une copropriété ne se demandaient pas à quel endroit ils se procureraient leurs oeufs, leurs fruits et leur viande, affirme Raphaëlle Graton, qui travaille dans le bureau des ventes. «Ce n'était pas une question. Les gens voulaient plutôt connaître les activités et les restaurants autour.»

Même scénario de l'autre côté du boulevard René-Lévesque, où les «condos intelligents» Icône sont à vendre. «C'est une question que je ne me fais jamais poser. Dans un centre-ville, les gens doivent s'attendre à ce qu'il y ait des épiceries fines. Mettre un Metro sur une carte, ça fait banal», indique Pascale Foisy. Sur son site internet, le promoteur affiche une carte montrant les services offerts autour de son projet. On y voit les magasins Holt Renfrew et Ogilvy, la Gare centrale, quelques banques et une clinique, mais aucune épicerie.

Le fait que les appartements de la Tour des Canadiens et d'Icône soient achetés par des investisseurs qui ne les habiteront pas explique l'absence de questions au sujet des épiceries à proximité, estime Daniel Lalonde. «Il est faux de croire que les gens ne sont pas préoccupés [par les épiceries]. Les célibataires qui ne cuisinent pas font exception, mais les couples posent la question.»