Le rachat par la chaîne Metro des supermarchés des familles Chèvrefils et Martel soulève des inquiétudes dans le monde alimentaire.

Des producteurs régionaux s'inquiètent de la bureaucratie et des coûts à payer pour faire affaire avec la chaîne plutôt que de traiter directement avec des marchands affiliés. Ces derniers, quant à eux, s'interrogent sur la pérennité de leur modèle d'affaires.

Depuis le début de l'année, Metro a racheté les cinq supermarchés Chèvrefils, dont celui de l'avenue Laurier, à Montréal, qui a depuis été revendu à un autre marchand affilié. Le 21 avril, le géant de la distribution alimentaire a repris les quatre magasins de la famille Martel, à Laval et dans les Basses-Laurentides.

La disparition des marchands affiliés avait commencé à l'automne 2009 quand la société Metro avait racheté les 15 supermarchés GP, dans la région de Québec, de la famille Guy Pelletier, leader de la promotion des produits régionaux.

René Huard, président de Brasseurs illimités, microbrasseur des bières Simple Malt, parle carrément de catastrophe. «Le chef d'étage (du Metro Martel de Saint-Eustache) m'a déjà dit que je vais perdre ma place sur le plancher. J'étais un bon fournisseur local pour Metro Martel, mais je suis un minus pour Metro Metro», dit l'homme d'affaires de 45 ans. Il vend l'équivalent de 25 000 caisses de 24 par année dans 180 points de vente au Québec.

Les frais

«Les Metro corpo n'achètent que ce qui est listé (ce qui apparaît sur la liste officielle des aliments autorisés à y être vendus)», poursuit-il.

«Pour une microbrasserie comme la mienne, c'est 2000$ par SKU (format de produit) et j'ai 11 SKU.» Une fois inscrit, il devra convaincre un à un les directeurs de magasin de commander sa bière de dégustation. Ensuite, quand il recevra son chèque de la part de Metro, celui-ci sera amputé de 7% pour couvrir des frais d'administration. Auraparant, avec les Martel, M. Huard ne payait ni frais d'inscription ni frais d'administration. Il devait toutefois payer pour l'espace occupé en magasin.

À la fromagerie Le p'tit train du Nord, de Mont-Laurier, c'est 8% que retiendra désormais Metro sur ses futurs paiements, nous dit Christian Pilon, gestionnaire de l'entreprise. «Je ne vends plus de fromage du jour à Metro Chèvrefils depuis le rachat. Metro doit d'abord m'ouvrir un compte, J'attends depuis deux mois.» Ses fromages de spécialité sont par contre toujours offerts dans les Metro, étant livrés par un distributeur.

Mise au courant des doléances des producteurs locaux, Marie-Claude Bacon, directrice des affaires corporatives chez Metro, a rétorqué que chaque magasin, corporatif, franchisé ou affilié, dispose d'une marge de manoeuvre quant aux achats locaux. Pour ce qui est de frais d'administration, elle ne semblait pas au courant. «Pour le moment, on n'a pas donné d'instructions de changer quoi que ce soit aux ententes qui sont en place», dit-elle.

Quel avenir pour les marchands propriétaires?

Questionnée sur l'avenir du modèle d'affaires des marchands affiliés au sein de la structure Metro à la lumière des récentes acquisitions, Mme Bacon s'est faite rassurante. «On a encore une majorité de marchands qui sont indépendants. On croit qu'il y a un avenir pour le modèle. C'est le modèle qu'on privilégie au Québec.»

Tous ne sont pas convaincus. «Quand la famille Chèvrefils ou la famille Pelletier mettent les clés sur le bureau de Metro et vendent leur entreprise pour aller faire autre chose, on se demande quelle est la pérennité des marchands propriétaires au Québec?», s'interroge Florent Gravel, ancien propriétaire du Metro du boulevard Côte-Vertu, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, et PDG de l'Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ).

«La chaîne est en train de prendre une force au Québec assez remarquable, renchérit Jean-Claude Dufour, professeur de marketing à l'Université Laval. D'après lui, l'avènement des Supercentres de Walmart et l'ouverture des magasins Target dans la province vont accélérer le phénomène. «La réduction du coût des ventes de détail doit passer par la standardisation et par une certaine technologie qui va permettre d'avoir de la productivité. La chaîne est en meilleure position pour acquérir et implanter tour ça», dit-il.

Selon M. Dufour, 57% du marché de l'alimentation au Québec est contrôlé par des marchands indépendants affiliés ou non. Ailleurs au Canada, les chaînes ont 77% de parts de marché. Environ 60% des supermarchés Metro appartiennent à des marchands affiliés, d'après Mme Bacon.