Polytechnique Montréal entend demeurer « vigilante » quant aux relations qu'elle entretient avec le géant chinois des télécommunications Huawei, mais n'entend pas y mettre un terme pour l'instant.

« Nous sommes une université, pas une agence de renseignement, a dit à La Presse la responsable des relations publiques de Polytechnique Montréal, Annie Touchette. Ceci dit, nous nous informons toujours au sujet de nos partenaires. On me dit dans ce cas-ci que la recherche va bien et que la collaboration est bonne. »

Polytechnique Montréal entretient des collaborations avec plus de 200 partenaires industriels, rappelle Mme Touchette. « Comme toutes les universités qui s'internationalisent, nous demeurons vigilants et nous tiendrons évidemment compte de la position du gouvernement canadien en ce qui concerne nos partenariats. »

Les relations entre Polytechnique Montréal et Huawei ont refait surface dans la foulée de l'arrestation, le 1er décembre à Vancouver, de la chef de la direction financière et fille du fondateur de l'entreprise, Meng Wanzhou.

Les autorités canadiennes se sont ainsi conformées aux demandes du gouvernement américain, qui soupçonne Huawei de contrevenir aux sanctions décidées par Washington contre l'Iran.

DÉVELOPPEMENT DU 5G

Depuis février 2017, Polytechnique Montréal collabore avec Huawei dans le cadre de la Chaire de recherche industrielle sur les technologies sans fil de l'avenir CRSNG-Huawei. L'université a notamment annoncé avoir obtenu une aide de 2,45 millions de dollars du manufacturier chinois pour effectuer des travaux de recherche sur les réseaux de téléphonie mobile de cinquième génération, aussi appelés 5G.

Les programmes de recherche comme ceux de Polytechnique Montréal bénéficient aussi d'un important soutien gouvernemental. En mars, Ottawa s'est engagé à verser pas moins de 400 millions de dollars aux chercheurs des secteurs privé et académique pour soutenir la croissance du 5G.

Cette technologie en développement, très attendue, devrait permettre aux réseaux sans fil d'atteindre des vitesses et une capacité de téléchargement proches de la fibre optique.

« [Notre programme] contribuera à mettre en place une vaste fondation pour l'avenir du sans-fil de l'humanité, influencera la façon dont les sociétés seront connectées et aura un impact sur la vie quotidienne », a dit Huawei dans le communiqué qui annonçait sa collaboration avec Polytechnique Montréal.

INQUIÉTUDES DU RENSEIGNEMENT

Le renseignement canadien s'inquiète des relations qu'entretiennent les universités canadiennes avec Huawei Technologies, soupçonnée d'espionnage, indique le Globe and Mail dans un article publié dimanche sur son site internet.

Le quotidien rapporte que des représentants du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont rencontré les dirigeants de 15 universités canadiennes, dont Polytechnique Montréal et McGill, le 4 octobre dernier, pour faire part de leurs inquiétudes au sujet de Huawei, notamment quant au rôle de cette dernière dans le développement et la mise en place de la technologie 5G au Canada, une infrastructure de communication jugée critique pour le pays.

« Le Centre canadien de la sécurité des télécommunications nous conseille sur le réseau 4G et continuera à le faire avec le 5G », a dit hier le secrétaire parlementaire à l'Innovation, à la Science et au Développement économique David Lametti, lors d'un échange aux Communes.

« Comme toujours, nous suivrons les conseils de nos responsables de la sécurité publique et ne compromettrons jamais la sécurité au Canada. »

Interrogée à ce sujet, la porte-parole de l'Université McGill, Katherine Gombay, a transmis à La Presse la position officielle du Regroupement des universités de recherche du Canada. « Nos universités se conforment aux directives fédérales et aux règlements quant aux partenariats de recherche, affirme le regroupement. À ce jour, aucune directive n'a été émise relativement à Huawei. »

Les demandes de La Presse hier auprès du ministère de l'Éducation à Québec n'ont pas eu de réponse.

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Deuxième fabricant mondial de téléphones intelligents en importance, Huawei a promis jusqu'ici environ 50 millions de dollars à divers établissements universitaires au Canada pour soutenir des projets de recherche en technologie de l'information.

Dans plusieurs de ces ententes, dont celle conclue par Polytechnique Montréal, les droits de propriété intellectuelle ont été entièrement cédés à Huawei.

Des ténors de la communauté des affaires au Canada, comme le cofondateur de Research In Motion Jim Balsillie, craignent que la création de valeur issue de la recherche au Canada échappe ainsi au pays.

« Il n'est pas suffisant de dire aux entreprises et aux universités de ‟faire attention" alors que de la propriété intellectuelle et des données de grande valeur s'échappent du Canada depuis des décennies », a-t-il dit dans un échange de courriels avec La Presse.

« En 2018, on continue à se réveiller avec des manchettes au sujet de partenariats conclus par des universités et des entreprises qui minent la sécurité nationale et la prospérité. Il est temps que l'on commence à bâtir des actifs liés à la propriété intellectuelle et aux données qui favorisent le Canada. » - Jim Balsillie

Au MILA, l'institut québécois de recherche en intelligence artificielle fondé par le spécialiste réputé mondialement Yoshua Bengio, on confirme avoir été contacté par Huawei, sans qu'une entente ait été conclue.

« Toute entente de partenariat doit respecter un processus interne de sélection, dit le chef des communications du MILA, Vincent Martineau. Aussi, à la demande des chercheurs, le résultat de nos travaux est mis à la disposition de tous et n'est pas protégé par de la propriété intellectuelle. »

« Il s'agit d'une mesure prise pour éviter qu'une entreprise comme Microsoft, par exemple, puisse s'appuyer sur cette propriété pour créer un monopole et se sauver avec la caisse », dit M. Martineau.

Huawei emploie plus de 400 ingénieurs et chercheurs au pays, notamment à son centre de recherche situé en banlieue d'Ottawa. Elle s'est engagée en 2017 à investir plus de 500 millions de dollars en recherche sur cinq ans, ce qui en fait l'une des 30 entreprises les plus actives en recherche et développement au pays.