Les échéances et contraintes sont en train de culminer dans la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour favoriser une entente de principe le mois prochain. Mais pour cela, il faudra que les États-Unis mettent beaucoup d'eau dans leur vin. Sinon, tout sera sur la glace pour plusieurs mois, une situation qui avantage le Mexique et le Canada. Explications avec trois experts.

« Nous continuons à être optimistes quant à notre capacité à avoir une entente gagnante pour tous. Nous sommes très conscients des contraintes de temps, tant aux États-Unis qu'au Mexique. Nous travaillons très fort à essayer de conclure une bonne entente. Nous savons qu'une bonne entente est éminemment possible. » - Le premier ministre Justin Trudeau

VOLTE-FACE AMÉRICAINE

Trois semaines après la menace de tarifs sur l'acier et l'aluminium, rapidement dégonflée, les États-Unis ont finalement laissé tomber une de leurs demandes phares sur l'ALENA : l'imposition d'un contenu américain minimum de 50 % dans le secteur automobile. Derrière cette volte-face américaine : la mobilisation des forces pro-ALENA aux États-Unis. « À cause de tout le stress que Trump met sur la place publique, il y a une vague, une mobilisation en faveur de l'ALENA, affirme Patrick Leblond, de l'Université d'Ottawa. C'est la carte que le Canada a jouée depuis le début de la négociation. Ils ont ‟callé le bluff" de Trump. » En effet, depuis quelques semaines, plusieurs secteurs de l'économie américaine ont commencé à faire pression sur l'administration Trump et sur les élus, tant au Congrès que dans les législatures des États. « Il y a une lutte au sein du Parti républicain, dit Mathieu Arès, de l'Université de Sherbrooke. Les élus veulent que l'ALENA soit réglé à temps pour les élections de mi-mandat. »

« Ils ont proposé des idées qui étaient en fait assez créatives. Notre réaction a été de dire : ‟OK on peut travailler avec ça." Est-ce qu'on pourrait dès maintenant conclure une entente ? Pas du tout. Je ne sais pas si on peut y arriver. Mais je le prends comme un point positif qu'ils se soient attaqués au problème d'une autre manière. » - David MacNaughton, ambassadeur du Canada, au sujet des nouvelles propositions américaines pour le secteur de l'automobile

UNE PERCÉE SUR L'AUTOMOBILE ?

Actuellement, l'ALENA impose un contenu nord-américain minimal de 62,5 % pour que les automobiles passent les frontières en franchise de douanes. Les États-Unis ont demandé un contenu américain minimal de 50 % et une hausse à 85 % du contenu nord-américain minimal. Une demande refusée net par le Canada et le Mexique, et dont l'industrie automobile ne voulait même pas. Le Canada, lors de la ronde de négociation de Montréal, a proposé de changer les règles actuelles pour ajouter la recherche et développement, l'électronique et l'acier dans les exigences de contenu nord-américain, et de stimuler les investissements dans les technologies d'avenir : propulsion électrique, voiture autonome, etc. Une approche qui a été d'abord rejetée par les États-Unis, mais qui a fait son chemin. « L'administration Trump est isolée et l'industrie commence à dire : il faut que ça se règle », indique Mathieu Arès.

UN CALENDRIER SERRÉ

Selon les experts, la renégociation de l'ALENA sera suspendue à la fin du mois d'avril, en raison du lancement de la campagne présidentielle mexicaine. Et elle ne reprendra pas avant la fin de l'année, soit après les élections de mi-mandat aux États-Unis. Ce qui laisse une petite fenêtre pour conclure une entente de principe dans les prochaines semaines. « Trump et [Robert] Lighthizer [représentant au Commerce] ont dit qu'ils veulent du progrès d'ici à la mi-avril », note Colin Robertson, ex-négociateur canadien et membre du cabinet d'avocats Dentons. L'échéancier est très serré et une entente est « presque impossible », dit-il. « Pour les règles d'origine, le diable est dans les détails. Mais il pourrait y avoir une entente de principe et la rédaction des règles d'origine pourrait être référée à un groupe de travail. » Mais évidemment, il n'y a pas que le secteur automobile dans l'ALENA : les États-Unis devront choisir leurs priorités. « Ma position, c'est qu'il n'y aura pas d'accord avant 2019, dit Patrick Leblond. Les États-Unis vont devoir mettre beaucoup d'eau dans leur vin s'ils veulent un accord rapide. Le Canada et le Mexique ne sont pas pressés. »

DES POINTS TOUJOURS EN SUSPENS

Le commerce des denrées agricoles et les transactions de commerce électronique demeurent deux des points épineux à régler dans le cadre de l'ALENA. Le président Trump a voulu retirer des bénéfices politiques en prenant fait et cause pour les éleveurs laitiers du nord et de l'est du pays, qui réclament un meilleur accès au marché canadien, mais les États-Unis sont un grand exportateur de plusieurs autres produits agricoles et alimentaires. Ces dernières semaines, des publicités télévisées exhortent M. Trump à ne pas mettre en péril l'accès des fermes des États-Unis aux marchés mondiaux. « Il y a une mobilisation en faveur de l'ALENA, dit Mathieu Arès. Je pense que les Américains pourraient se contenter d'une concession ‟homéopathique", comme un quota d'accès au marché laitier canadien, comme cela a été fait dans l'AEGC [l'accord de libre-échange avec l'Europe]. » Dans le cas du commerce électronique, le Canada ne prélève pas les taxes sur les envois d'une valeur de moins de 20 $. Aux États-Unis, c'est 800 $. Selon Colin Robertson, un compromis est possible, d'autant plus que l'enjeu principal dans le domaine, ce n'est pas l'envoi de marchandises, mais plutôt la taxation des services, comme ceux de Google et de Facebook.

photo Graham Hughes, archives la presse canadienne

David MacNaughton, ambassadeur du Canada

photo chris young, archives la presse canadienne

Le premier ministre Justin Trudeau