Le Conference Board du Canada prévoit que l'économie canadienne perdrait environ un demi-point de pourcentage de croissance et 85 000 emplois dans la première année suivant la fin de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

«L'économie n'entrerait pas nécessairement en récession, mais on verrait une baisse de nos exportations avec les États-Unis de l'ordre de 1,8%», a expliqué Kristelle Audet, directrice associée du Centre sur le commerce mondial du Conference Board, en entrevue avec La Presse canadienne.

Bien que l'organisme précise que la croissance se redresserait largement dans l'année suivant la fin de l'ALENA grâce à un taux de change plus faible et à des taux d'intérêt moindres, il précise que le niveau du produit intérieur brut (PIB) resterait néanmoins durablement inférieur, ce qui représenterait une perte de revenu dans tout le Canada.

À plus long terme, le Canada ne sera plus en mesure d'attirer des investisseurs qui cherchent un accès préférentiel au marché américain.

«La baisse des investissements au Canada serait un des facteurs principaux derrière la contraction de l'économie», a ajouté Mme Audet.

Elle précise que c'est sur les exportations de véhicules automobiles et de pièces que l'effet serait le plus marqué, puisque les pièces et composantes de véhicules peuvent traverser plusieurs fois la frontière dans les deux sens en cours d'assemblage.

«Dans le secteur des véhicules, on parle de près du tiers des intrants de nos exportations canadiennes qui proviennent des États-Unis au départ; il y a vraiment un transfert des intrants plusieurs fois de l'autre côté de la frontière avant qu'un bien soit assemblé et fini.»

Les exportations de biens de consommation, d'aliments et de boissons, de produits chimiques, de produits du bois et de produits agricoles baisseraient aussi sensiblement.

Les droits et la dépréciation du dollar canadien feraient aussi augmenter le prix des importations américaines au Canada.

Une réduction de l'investissement à long terme due à la fin de l'ALENA limiterait davantage encore la capacité de production. L'économie canadienne en serait durablement plus faible que dans le cadre des règles commerciales actuelles de l'accord.

Nouveaux partenaires?

Le Conference Board ne doute pas que la fin de l'ALENA pousserait des entreprises à regarder ailleurs qu'en Amérique du Nord.

«Il y a peut-être des occasions à saisir dans ce cas-là, fait valoir Kristelle Audet. Le gouvernement fait vraiment des efforts pour négocier de nombreux accords commerciaux avec la signature du Partenariat transpacifique hier (jeudi) ainsi qu'avec l'annonce du début des négociations avec le Mercosur prochainement.»

Le Mercosur est un regroupement économique de pays d'Amérique du Sud, dont sont membres notamment l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et la Bolivie.

Il n'y a toutefois pas d'illusions à se faire sur l'importance d'éventuels nouveaux partenaires, précise-t-elle.

«Les États-Unis, ça demeure l'économie la plus importante dans le monde et la chaîne de valeur est totalement intégrée en Amérique du Nord; on ne voit pas nécessairement une importante redistribution de nos exportations vers l'extérieur dans l'avenir.»

Pas de gagnants

«En termes de gagnants, on n'en voit pas nécessairement de notre côté», conclut Mme Audet.

L'analyse démontre par ailleurs que les Américains ne seront pas gagnants non plus; l'impact est beaucoup plus important chez eux en termes de dollars, mais la somme représente une proportion du PIB beaucoup moins significative.

«On verrait une perte, en termes de PIB, de leur côté qui serait de l'ordre de 35 milliards, l'équivalent de 0,1% de leur PIB», précise-t-elle.

«L'intégration sous l'ALENA - et ça les études en ont vraiment fait la démonstration au cours des 15 dernières années - a vraiment permis au bloc Canada-États-Unis-Mexique de s'intégrer, de bénéficier des économies d'échelle, d'augmenter leur production, d'être beaucoup plus efficaces», martèle la chercheuse.

La fin de l'ALENA se traduirait ainsi au retour pour le Canada au statut de «nation la plus favorisée», un statut que les Américains réservent à quelques partenaires économiques stratégiques, mais qui impose quand même des tarifs douaniers et qui n'offre aucun des avantages du libre-échange nord-américain.

«Toute barrière additionnelle qu'on met aux échanges commerciaux à l'intérieur de cette région aura au final des coûts qui se traduiront en augmentation des prix des biens dans l'ensemble du bloc, donc au Canada, aux États-Unis et au Mexique», dit-elle.