Alors que le gouvernement fédéral est empêtré depuis des semaines dans des débats sur les paradis fiscaux, un sénateur a déposé hier un projet de loi pour obliger Ottawa à divulguer combien d'argent lui échappait chaque année en raison de l'évasion fiscale, une somme qui pourrait s'élever à 48 milliards de dollars.

Avec le projet de loi S-246, le sénateur Percy Downe souhaite forcer l'Agence du revenu du Canada (ARC) à suivre l'exemple de pays qui, comme le Royaume-Uni, publient tous les ans des données sur l'« écart fiscal ». Il s'agit en gros de la différence entre les impôts qui auraient dû être perçus et ceux qui ont réellement été recueillis.

« Le Conference Board a estimé à 47,8 milliards l'ampleur de l'écart fiscal au Canada », a souligné M. Downe à La Presse.

« Si c'était vraiment le cas, et qu'on parvenait à percevoir ces sommes, le déficit serait éliminé, les impôts seraient plus bas et les programmes seraient mieux financés. Les Canadiens ont le droit de savoir. »

Pas confiance

Le sénateur souhaite contraindre l'ARC non seulement à calculer l'écart fiscal, mais aussi à remettre toutes les données recueillies au Directeur parlementaire du budget. Il veut aussi forcer l'ARC à signaler toutes les condamnations pour évasion fiscale dans un rapport déposé au Parlement.

Percy Downe insiste pour que les données « brutes » soient transmises aux parlementaires, afin d'éviter que l'ARC ne dissimule ou ne maquille certaines informations. La publication d'un rapport dévastateur du Vérificateur général du Canada, avant-hier, prouve selon lui que l'Agence n'est pas digne de confiance.

Dans son rapport, le Vérificateur général a démenti les affirmations de l'ARC, qui prétendait répondre à 90 % des appels téléphoniques des contribuables canadiens. À peine 36 % des gens reçoivent véritablement une réponse à leurs questions. Les autres se heurtent plutôt à un message préenregistré ou se font raccrocher la ligne au nez.

25 milliards récupérés ou identifiés ?

Pour l'heure, l'ARC refuse toujours de préciser les sommes récupérées dans sa lutte contre l'évasion fiscale. La ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, a indiqué au cours des dernières semaines que son agence avait « récupéré » 25 milliards depuis deux ans, pour ensuite dire que l'ARC avait plutôt « identifié » cette somme.

L'attaché de presse de la ministre, John Power, a réitéré hier que le gouvernement fédéral était en « bonne voie » de récupérer les 25 milliards, sans toutefois dire combien avaient été récoltés à ce jour. « Ces fonds sont déjà identifiés et l'Agence s'exécute à les récupérer. Tous les individus et les compagnies affectés ont été avisés, et ils ont reçu des avis de cotisations au besoin. »

Quant au projet de loi du sénateur Percy Downe, M. Power a indiqué que celui-ci « sera[it] évalué par le gouvernement quand il arrivera[it] en Chambre ». Le projet, qui vise à modifier la Loi sur l'Agence du revenu du Canada, devra d'abord être étudié - et adopté - par le Sénat avant d'aboutir éventuellement à la Chambre des communes.

Un calcul important

Le Conference Board du Canada a cherché à estimer l'ampleur des impôts qui devraient être perçus par Ottawa, mais qui lui échappent à cause de l'évasion et de l'évitement fiscal, entre autres raisons. En se basant sur l'exemple des pays qui calculent déjà l'« écart fiscal », les chercheurs ont établi que le manque à gagner du gouvernement canadien oscillerait entre 9 et 50 milliards de dollars par année. 

Ces sommes non réclamées accroissent le fardeau fiscal des contribuables honnêtes, note Matthew Stewart, directeur associé du Conference Board, dans le rapport publié en février 2017. D'où l'importance d'avoir des statistiques précises à ce sujet. « L'écart fiscal n'est pas simple à estimer, mais faire cet exercice est une étape importante pour éventuellement percevoir plus d'argent qui soutiendra les activités du gouvernement », a-t-il souligné.