La somme est colossale - 35 milliards de dollars. Les travaux doivent durer entre 20 et 30 ans. Les retombées sont importantes. En dévoilant sa stratégie nationale d'approvisionnement en matière de construction navale, en 2010, le gouvernement fédéral a fait le pari d'offrir aux chantiers navals du pays une stabilité et une prévisibilité qui leur avaient échappé jusqu'ici.

Quel est l'objectif principal de cette stratégie navale?

La Marine royale du Canada et la Garde côtière canadienne doivent renouveler une bonne partie de leur flotte de navires au cours des prochaines années. Le gouvernement fédéral a décidé de se tourner uniquement vers les entreprises canadiennes pour la construction de ces nouveaux navires. Pourquoi? D'abord et avant tout pour mettre fin au cycle d'expansion et de ralentissement de la construction navale au pays. Longtemps considéré comme le fonctionnement normal de cette industrie, ce cycle d'affaires imprévisible nuisait grandement à la stabilité des chantiers navals. «Les chantiers navals perdaient la majorité de leur expertise à la fin d'un projet et n'étaient pas en mesure d'investir dans leur infrastructure», selon la ministre des Travaux publics, Diane Finley.

Quels chantiers navals ont obtenu les fameux contrats?

Deux chantiers navals ont raflé la majorité de cette manne. Un premier contrat, d'une valeur de 25 milliards de dollars, a été accordé à Irving Shipbuilding Inc de Halifax, en Nouvelle-Écosse, pour la construction de grands navires de combat (15 frégates et contre-torpilleurs et 6 navires de patrouille extracôtiers). Le chantier naval Vancouver Shipyards Co. Ltd, en Colombie-Britannique, a décroché le deuxième contrat évalué à 8 milliards pour la construction de sept autres navires (navires de soutien interarmées pour la marine, des brise-glaces et des navires scientifiques pour la garde côtière.) Le Chantier Davie à Québec, qui était en difficulté au moment de l'appel d'offres, n'a donc pas été retenu. Mais le gouvernement fédéral prévoit investir aussi une somme de 2 milliards de dollars pour la construction de petits navires durant cette même période. Et Ottawa compte faire appel à un autre chantier naval n'ayant pas décroché l'un des deux gros contrats pour ces travaux.

Comment a-t-on procédé pour choisir les entreprises?

Pour éviter toute ingérence politique, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a décidé de créer un secrétariat indépendant composé d'experts afin d'évaluer les soumissions des chantiers navals intéressés par ces contrats lucratifs. Ce sont les membres du secrétariat qui ont annoncé les chantiers navals retenus au terme d'un long processus d'appel d'offres, et non pas un ministre du gouvernement conservateur. Toutefois, pour être en mesure de construire les navires, Irving Shipbuilding Inc. et Vancouver Shipyards Co doivent d'abord réaliser d'importants travaux afin d'améliorer leurs infrastructures d'une valeur d'environ 300 millions et 200 millions de dollars respectivement. Le réseau CTV a toutefois rapporté dimanche que le contrat de construction des navires de combat octroyé à Irving Shipbuilding pourrait dépasser les coûts prévus et connaître des retards.

Quelles seront les retombées économiques de ces investissements?

Selon les calculs des analystes, pas moins de 15 000 emplois directs ou indirects seront créés dans l'industrie canadienne de la construction navale sur une période d'au moins 20 ans. On estime aussi à 2 milliards de dollars les retombées économiques annuelles. En outre, on croit être en mesure de soutenir une expertise dans ce domaine au cours des prochaines décennies, ce qui contribuera certainement à maintenir à flot une industrie qui a connu des années de vaches grasses, mais surtout des années de vaches maigres. Le chef conservateur Stephen Harper a d'ailleurs souligné à quelques reprises l'importance de ces investissements durant la campagne électorale, notamment lorsqu'il s'adressait à des gens d'affaires.

Et l'avenir de Chantier Davie Canada dans tout cela?

Depuis le lancement de la stratégie navale, le Chantier Davie Canada s'est littéralement remis à flot, d'abord en ayant un nouveau propriétaire, Inocea. L'entreprise compte maintenant environ 1000 employés et a fait une proposition innovatrice à Ottawa pour compenser la mise au rancart de façon prématurée de deux navires ravitailleurs, soit le NCSM Protecteur et le NCSM Preserver: transformer un porte-conteneurs moderne en un navire pétrolier ravitailleur que la Marine royale pourrait louer. Cette initiative, connue sous le nom de projet Resolve, a séduit le ministre de la Défense Jason Kenney. Construit en Allemagne en 2010, le porte-conteneurs doit arriver à Halifax entre le 6 ou le 9 octobre et les travaux de conversion pourront commencer dans les jours suivants, selon nos informations. «Nous avons environ 1000 employés et avec le plus récent contrat pour le projet Resolve que nous allons livrer en 2017, nous allons recruter d'autres employés durant les prochains mois. En tant que plus important chantier naval au Canada, on ne peut jamais avoir assez de travail. Toutefois, nous sommes absolument ravis de la direction que nous empruntons et de ce que le gouvernement a fait pour nous au cours des deux dernières années depuis que nous avons relancé le chantier naval», a indiqué Alex Vicefield, le pdg de Inocea, propriétaire de Chantier Davie Canada, dans un courriel à La Presse Affaires.