Après quatre ans de négociations, l'UE et le Canada doivent conclure vendredi un accord de libre-échange qui pourrait servir de modèle dans les négociations engagées par les Européens avec les États-Unis en vue de créer la plus grande zone de libre-échange au monde.

Le premier ministre Stephen Harper rencontrera vendredi à Bruxelles le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avec lequel est ensuite prévue une conférence de presse conjointe.

«Les négociations sont maintenant bien avancées, ce qui permet la rencontre avec l'objectif de conclure les négociations», a déclaré jeudi Olivier Bailly, un porte-parole de la Commission, lors d'un point de presse. Mais il y a «encore des discussions à avoir pour permettre cet accord», a-t-il dit, alors que les échanges se poursuivent au plus haut niveau.

Un accord global «pourrait générer d'importantes possibilités de croissance et accroître le commerce des biens et des marchandises pour nos deux zones», a-t-il rappelé. Il permettrait aux sociétés canadiennes d'accéder à un marché de 500 millions de consommateurs. En contrepartie, Ottawa éliminerait ses barrières tarifaires sur 98% de ses importations en provenance de l'UE.

En 2011, le commerce entre les deux zones s'est élevé à quelque 86 milliards d'euros (environ 120 milliards de dollars), faisant de l'UE le deuxième partenaire commercial du Canada, loin derrière les États-Unis.

La conclusion de ces négociations, amorcées en mai 2009 et que le Canada espérait initialement finaliser fin 2011, a souvent été reportée.

Nombre des questions ont donné du fil à retordre aux négociateurs: les médicaments génériques, les services financiers, ainsi que les appels d'offres des gouvernements provinciaux.

Mais c'est sur des contentieux agricoles, comme la question des produits laitiers et l'ouverture du marché européen au boeuf canadien, que les deux parties butaient depuis plusieurs mois.

Pour beaucoup d'observateurs, l'impasse dans le dossier canadien augurait mal pour les négociations entre l'UE et les États-Unis, lancées en juillet et qui risquent elles aussi de buter sur des questions agricoles, comme les OGM et le poulet chloré.

«Les États-Unis, c'est le Canada puissance 10», rappelait il y a quelques mois une source européenne, alors que les discussions avec Ottawa s'enlisaient.

Craintes

Le dossier s'est débloqué quand le Canada a accepté de doubler le quota de fromage européen admis sans droits tarifaires, en échange d'un plus grand accès au marché européen pour les producteurs de boeuf canadiens, selon plusieurs sources.

L'annonce de cette percée dans les négociations a provoqué le courroux de l'association des producteurs laitiers du Canada. Elle s'est prononcée contre un accord qui permettrait à l'UE de vendre plus de fromage au Canada, affirmant qu'elle bénéficiait déjà d'un quota très généreux.

«Cet accord remplacerait nos produits locaux par des fromages subventionnés de l'Union européenne et risquerait d'entraîner la fermeture de nos petites entreprises ou de nous chasser du marché. Cela est inacceptable», a affirmé l'association.

Le ministère canadien du Commerce a réaffirmé l'engagement du gouvernement fédéral à protéger les secteurs agricoles.

Pour le chef de la première opposition à Ottawa, Thomas Mulcair, du Nouveau parti démocratique (NPD), M. Harper abandonne les producteurs laitiers canadiens.

M. Mulcair a demandé de rendre public le texte de l'accord tout comme le premier syndicat du secteur privé canadien Unifor. Son président Jerry Dias veut croire que l'accord «fera l'objet d'une étude transparente et démocratique aux niveaux fédéral et provincial, avant d'être ratifié». Les accords internationaux sont de la souveraineté du gouvernement fédéral canadien et chaque province peut, en théorie, freiner certains points dans ses champs de compétence.

Les craintes sont tout aussi vives en Europe. «En pleine crise de l'élevage en Europe -et en Bretagne- l'accord va accentuer la mondialisation agroalimentaire. L'Europe importera davantage de viande de porc et de boeuf!», a réagi l'eurodéputé vert Yannick Jadot.

Qui plus est, «l'accord facilite l'investissement et la production de sables bitumeux» (une forme de pétrole non conventionnel dont le Canada est le principal producteur mondial, ndlr), a ajouté le député européen, parlant de «catastrophe environnementale».

Les agriculteurs du Québec dénoncent l'accord

S'il va de l'avant, l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne (UE) marquera le début d'une concurrence qui sera très inégale pour beaucoup producteurs agricoles québécois.

C'est ce que craignent notamment l'Union des producteurs agricoles (UPA) et la Fédération des producteurs de lait du Québec (FPLQ), qui ont joint leur voix, jeudi, pour dénoncer la conclusion prochaine de cette entente.

Le Canada a notamment consenti que soit doublé le quota sur les fromages de l'UE exportés vers le Canada en échange d'un accès accru au marché européen pour les producteurs canadiens de boeuf et de porc.

Selon l'UPA, l'importation de fromages européens au Canada passerait entre autres de 14 000 à 32 000 tonnes par année. L'ensemble des importations de fromages sur le marché canadien passerait de 20 000 à 38 000 tonnes si l'accord est conclu.

La fédération qui représente les agriculteurs de la province croit que le gouvernement Harper ne joue pas son rôle en ouvrant la porte à l'arrivée massive des fromages européens sur le marché canadien.

«Les fromageries qui planifiaient des investissements vont les reconsidérer, affirme le président de l'UPA, Marcel Groleau. Elles vont être prudentes pour voir les impacts de l'accord.»

Ce dernier s'alarme également de constater que l'Europe appuie ses producteurs laitiers à l'aide de subventions, qui représentent, selon lui, plus de 60 pour cent du revenu de ces producteurs.

«On a seulement adressé la question du marché sans aborder celle du soutien financier», déplore M. Groleau

«Les producteurs de lait européens ont des aides directes qui leur permettent de vendre leur lait à un meilleur prix aux fromagers européens, ce qui leur donne un avantage par rapport à leurs concurrents canadiens», ajoute-t-il.

La FPLQ, qui doit rencontrer vendredi le ministre québécois de l'Agriculture, François Gendron, exhorte le gouvernement Marois à tout mettre en oeuvre pour bloquer l'arrivée massive de fromages européens sur le marché canadien.

Le porte-parole de la Fédération, François Dumontier, croit que l'aide accordée par l'UE à ses agriculteurs est tellement élevée qu'il sera difficile de l'instaurer au Canada.

«C'est difficile de penser qu'on puisse l'être (à armes égales), déplore-t-il.  Est-ce qu'on nous coupe les jambes pour nous offrir une béquille? Il va être difficile de concurrencer des producteurs laitiers subventionnés à 65 pour cent de leur revenu.»

Selon la FPLQ, le Québec est le grand perdant de la concession faite par le gouvernement Harper en ce qui a trait au fromage, puisque la province produit plus de la moitié des fromages canadiens et plus de 60% des fromages fins et artisanaux.

Même difficile pour le boeuf et le porc

S'il reconnaît qu'à long terme, les producteurs de boeuf et de porc pourraient profiter de l'accord de libre-échange, le président de l'UPA y voit quand même un problème.

«Ici, en raison de la gestion de l'offre, lorsqu'il y a des importations supplémentaires, on ajuste la production canadienne et nous en tenons compte sur notre marché, dit M. Groleau. On fait une place aux exportateurs.»

Il souligne que les exportateurs canadiens n'auront pas ce privilège en Europe.

«Ils vont devoir se tailler une place sur le marché européen en tassant des concurrents, observe M. Groleau. Ça sera plus difficile pour nos producteurs de viande d'accéder à l'Europe que pour les fromagers européens d'accéder à notre marché.»

Le président de l'Union paysanne, Benoît Girouard, a quant à lui affirmé que cet accord de libre-échange ne favorisera que les grandes entreprises canadiennes, qui seront les seules, d'après lui, à être en mesure de dénicher des marchés en Europe.

- Julien Arsenault, La Presse Canadienne

Unifor veut voir le traité

Le syndicat canadien Unifor, premier syndicat du secteur privé, a réclamé jeudi la publication immédiate de l'accord de libre-échange qui doit être conclu vendredi à Bruxelles entre le premier ministre Stephen Harper et l'Union européenne.

«Ce n'est pas une bonne chose de garder le public canadien dans l'ignorance sur cet accord économique important», a estimé le président d'Unifor, Jerry Dias dans un communiqué.

Le syndicat qu'il dirige, fort de plus de 300 000 membres, appelle le gouvernement conservateur de Stephen Harper à «rendre public immédiatement le texte sur l'accord de libre-échange avec l'Union européenne et à s'assurer que l'entente fera l'objet d'une étude transparente et démocratique aux niveaux fédéral et provincial, avant d'être ratifié».

Après plus de quatre ans de négociations à huis clos, Ottawa et Bruxelles ont annoncé mercredi la conclusion imminente de ce dossier. Stephen Harper est attendu vendredi à Bruxelles pour parachever l'entente de principe avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

Après plusieurs annonces de conclusions annulées, le dossier s'est débloqué quand le Canada a accepté de doubler le quota de fromage européen admis sans droits tarifaires, en échange d'un plus grand accès au marché européen pour les producteurs de boeuf canadiens, selon plusieurs sources.

Selon Unifor, qui dit avoir obtenu des documents des négociateurs, l'accord de libre-échange va notamment ouvrir le secteur canadien des télécommunications -contrôlé actuellement par une poignée de sociétés locales- aux groupes étrangers, ce qui serait une première.

«Ce serait néfaste pour la culture canadienne, la sécurité et les travailleurs», a jugé M. Dias.

Cet accord de principe devra notamment être ratifié par le gouvernement fédéral canadien.