À quelques heures de la reprise de la livraison du courrier, les travailleurs de Postes Canada songent à contester devant les tribunaux la loi fédérale adoptée pour forcer leur retour au travail.

L'exécutif du syndicat doit se réunir mardi matin pour évaluer les options qui s'offrent à lui.

«Il va y avoir des discussions à savoir si la loi peut être contestée en partie ou en totalité», a confirmé lundi après-midi Alain Duguay, président de la section locale des employés postaux de Montréal.

Les travailleurs ont mal digéré la loi fédérale qui a coupé court à leurs négociations avec l'employeur.

Lundi, ils ont d'ailleurs continué à manifester un peu partout au pays pour protester contre l'imposition de la mesure législative, notamment à Montréal, Halifax et Vancouver.

«On va s'en rappeler», pouvait-on lire sur des pancartes portées par des travailleurs devant des succursales au Québec.

Le gouvernement Harper avait déposé le projet de loi de retour au travail lundi dernier, après que Postes Canada eut mis en lock-out ses employés le 14 juin. Ceux avaient auparavant entrepris une série de grèves tournantes.

La loi a été adoptée au cours de la fin de semaine - après un débat-marathon qui a duré une cinquantaine d'heures sans interruption aux Communes - et a finalement été sanctionnée dimanche soir. Le gouvernement affirmait n'avoir d'autre choix que d'agir rapidement pour protéger l'économie canadienne qui souffrait de l'arrêt du service postal.

Les facteurs doivent recommencer à livrer le courrier dès mardi.

Postes Canada estimait lundi matin que cela pourrait prendre quelques semaines avant un retour à la normale de ses activités.

Mais si la menace de contestation judiciaire se concrétise, cela pourrait brouiller les plans de reprise du service postal.

Cette reprise ne s'annonçait déjà pas sans heurts.

«Il y a de la frustration contre l'employeur», a répété M. Duguay, au sujet du moral de ses troupes, en entrevue avec La Presse Canadienne.

«Ça va laisser des séquelles», a-t-il ajouté.

«Et il n'est pas dit qu'il n'y aura pas d'autres genres de manifestations», a-t-il prévenu, refusant de préciser ses propos.

Pour les travailleurs, la lutte n'est pas terminée, a-t-il ajouté.

«C'est une lutte qui va au-delà du syndicat des travailleurs des postes et de Postes Canada. C'est une attaque frontale au mouvement ouvrier, a-t-il affirmé. Et la crainte de la population québécoise d'un gouvernement Harper majoritaire, je pense qu'elle était justifiée et là, ça s'est confirmé.»

Pourtant, chez l'employeur, on ne s'attend pas à d'autres incidents.

«Pas du tout», a répondu une porte-parole de Postes Canada, Anick Losier, lorsque questionnée sur ses craintes de futures perturbations du service.

«Je pense que nos employés veulent retourner au travail et aller de l'avant», a-t-elle précisé.

Mais Postes Canada reconnaît néanmoins avoir plusieurs défis à relever.

«On a beaucoup de pain sur la planche pour les prochaines semaines», a affirmé Mme Losier.

«Non seulement pour rétablir notre service de façon efficace, mais aussi rétablir la confiance des consommateurs et aussi nos relations avec nos employés. C'est quelque chose d'important pour nous», a dit la porte-parole.

Quant au retour à la normale des activités, M. Duguay affirme ne pouvoir le prévoir car cela va dépendre de l'employeur, et surtout, s'il est prêt à payer des heures supplémentaires pour rattraper le temps perdu.

À Montréal seulement, une centaine de camions attendent pour entrer dans les centres de distribution, selon Postes Canada.

La société d'État estime que le conflit lui a coûté entre 250 et 300 millions $. À titre de comparaison, les profits dégagés par Postes Canada l'an dernier étaient de 281 millions $.

Il s'agit non seulement de pertes de revenus attribuables à l'interruption des services, mais aussi en raison de l'annulation d'importants contrats d'entreprises qui se sont tournées vers des concurrents ou encore vers des solutions électroniques pour éviter d'avoir à envoyer du courrier. Cette possibilité n'existait pas lors de la dernière grève générale à Postes Canada en 1997.

«Aller récupérer ces clients-là va être extrêmement difficile», a souligné la porte-parole de Postes Canada.

Mais ces chiffres n'émeuvent pas M. Duguay.

«Douze jours de grève rotative ont causé moins de dommage qu'un jour de lock-out», a-t-il dit.

Pour remettre le service postal sur les rails, la priorité sera accordée à la livraison des colis et lettres Expresspost. La société d'État est d'ailleurs en train d'évaluer la quantité de courrier accumulé dans ses entrepôts et le temps requis pour le distribuer. Les bureaux de postes seront par contre ouverts dès mardi et les boîtes aux lettres rouges seront aussi descellées.

Pour régler les différends qui demeurent entre les parties, la loi de retour au travail prévoit la nomination d'un arbitre qui doit déterminer les conditions de travail d'ici 90 jours.

Il devra choisir entre la dernière offre patronale et celle du syndicat, sauf pour les augmentations salariales qui ont été imposées par le gouvernement dans sa loi.

Le syndicat des travailleurs des postes avait promptement dénoncé le projet législatif lorsqu'il avait été déposé, notamment parce que la société d'État avait été plus généreuse pour les salaires que le gouvernement. Il déplorait aussi que l'arbitre n'ait pas cette marge de manoeuvre en ce qui concerne les salaires.