L'ordinateur, le téléphone cellulaire et le télécopieur ont pris le pas sur la lettre manuscrite, mais un lock-out à Postes Canada peut encore faire mal à des entreprises mal préparées, même celles qui sont à la fine pointe de la technologie.

Parlez-en à celles qui font de la vente en ligne, qui expédient chaque jour des milliers de colis.

Depuis un mois, Yona Shtern suit de près les pourparlers entre Postes Canada et ses 45 000 employés en milieu urbain. On peut le comprendre: cet entrepreneur montréalais est le cofondateur de Beyond the Rack, site web qui offre aux internautes des vêtements griffés et divers produits haut de gamme à prix réduit.

Des dizaines d'employés s'activent dans l'immense entrepôt de la société, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, pour empaqueter la marchandise. Chaque jour, elle expédie de 3000 à 4000 colis. «Même si le syndicat parlait de mener des grèves rotatives, nous avons présumé dès le début qu'un scénario catastrophe allait se concrétiser, a confié M. Shtern, hier. Le problème, pour nous, c'est que nous n'avions aucune assurance que, si nous mettions des colis d'un côté du pipeline, ils en ressortiraient à l'autre bout.»

L'entreprise est si dépendante de l'expédition qu'elle ne pouvait se permettre de subir les contrecoups d'un conflit de travail. Elle a donc mis en branle son plan B une semaine avant que les négociations entre Postes Canada et son syndicat n'achoppent, afin d'éviter tout retard dans ses livraisons.

Elle a avisé sa clientèle que les commandes ne seront plus expédiées par l'entremise de Postes Canada, mais plutôt avec l'entreprise privée Canpar. Beyond the Rack doit absorber des frais d'expédition qui sont de 10 à 20% plus élevés, indique Yona Shtern, mais il n'y a aucun changement pour le client.

«Oui, le coût est plus élevé, a-t-il résumé, mais ça couterait beaucoup plus cher de ne rien envoyer du tout.»

Beyond the Rack n'est pas la seule société québécoise à devoir réviser sa stratégie en raison du conflit de travail à Postes Canada. Le commerce en ligne est en vogue, et les entreprises qui travaillent dans le domaine doivent s'adapter au lock-out, décrété tard mardi soir,

Un service inférieur

Les ventes par l'internet ne représentent que 5% du chiffre d'affaires de Renaud Bray. La librairie expédie tout de même entre 500 et 600 colis par jour à partir de son centre de distribution, bâti expressément pour le commerce en ligne en 2009.

La chaîne va recourir à des transporteurs privés comme Purolator, FedEx et Canpar pour maintenir son service de vente en ligne, a indiqué son directeur général, Blaise Renaud. Mais l'entreprise le fait un peu malgré elle.

«Il y a d'autres transporteurs, mais ils offrent des services à des prix beaucoup plus élevés et l'expérience est beaucoup plus défavorable pour le client», explique-t-il.

Si l'acheteur n'est pas chez lui lors de la livraison, des travailleurs de Postes Canada peuvent cacher le colis près de la porte, ou encore aviser le client qu'il peut le récupérer au comptoir postal le plus proche, explique l'homme d'affaires. Les autres transporteurs vont plutôt ramener la marchandise dans leurs centres de distribution, qui sont moins nombreux que les comptoirs postaux. En région, des clients de la librairie ont été forcés de parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour récupérer des livraisons, souligne M. Renaud.

Renaud-Bray offre la livraison gratuite aux clients qui commandent des marchandises valant plus de 39$ en ligne. Si le conflit de travail à Postes Canada devait s'étirer, l'entreprise devra repenser cette mesure d'encouragement, a indiqué son directeur général.

«À partir du moment où Purolator devient notre fournisseur, c'est certain que le coût de cette mesure incitative devient astronomique», dit-il.

D'autres préfèrent carrément stopper leurs ventes à distance pendant le lock-out. À la Société des alcools du Québec (SAQ), les achats en ligne sont suspendus depuis le début du conflit de travail à Postes Canada, la semaine dernière.

La société d'État a une raison toute particulière de recourir à cette mesure draconienne: la loi l'oblige à vérifier que l'acheteur a l'âge légal d'acheter du vin ou des spiritueux, même si la transaction se fait par l'internet. Postes Canada est la seule entreprise d'expédition qui permet de contrôler l'identité de l'acheteur lors de la livraison.

«Si ça se prolonge, on pourra peut-être voir à un plan B», a indiqué sa porte-parole, Isabelle Merizzi.

La situation ne devrait pas plomber outre mesure les prochains résultats financiers de la SAQ: les ventes en ligne lui rapportent 7 millions de dollars par année, soit 0,003% de son chiffre d'affaires.