La force excessive du huard face au billet vert représente le plus grand risque à la vigueur de l'expansion canadienne, cette année. À partir de l'an prochain, le danger pourra venir de deux autres sources: un brusque ralentissement de la croissance chinoise ou la gestion malaisée des déficits budgétaires américains.

Telles sont les prévisions de Rudy Narvas, économiste principal de Société Générale marchés mondiaux qui reste néanmoins fort optimiste avec une prévision de croissance de 3,0% et de 3,2% pour 2011 et 2012 avant de ralentir plus près de son potentiel par la suite.

«Les exportations canadiennes auront entravé grandement la croissance au premier trimestre, mais ce sera moins le cas par la suite», explique-t-il en entrevue au siège social montréalais de la succursale Canada de la banque française présente dans 26 pays. Comme d'autres, il mise sur la demande intérieure et en particulier sur les investissements des entreprises pour assurer l'expansion.

Établi à New York, ce Winnipégois d'origine croit que notre monnaie pourrait bien s'envoler jusqu'à 108,5 cents américains avant de redescendre tout doucement l'an prochain. Elle devrait demeurer au-dessus de a parité au moins jusqu'à la fin de l'an prochain.

À ces altitudes, elle reste grandement surévaluée et exerce à elle seule l'équivalent d'un resserrement monétaire de 25 à 30 centièmes qui incitera la Banque du Canada à faire preuve de modération dans la normalisation de son taux directeur qui devrait reprendre en juillet.

M. Narvas croit que les exportations freineront moins la croissance à mesure que l'économie américaine retrouvera son tonus. Il la voit progresser au-dessus des 3% jusqu'au milieu de la décennie, à condition que Washington parvienne à trouver une solution acceptable aux déficits budgétaires abyssaux actuels qui ne paralyse pas l'économie. Hier, Washington a annoncé que le plafond autorisé de la dette (14 290 milliards US) sera atteint le 16 mai.

C'est un gros si, admet-il. «Nous estimons à 25% la probabilité que les républicains et les démocrates parviennent à s'entendre d'ici l'été», précise-t-il.

Selon les scénarios produits par la Commission de la dette mise sur pied par la Maison-Blanche, le contrôle du déficit pourrait coûter de un à trois points de pourcentage à la croissance par année d'ici 2020, voire davantage. «Il existe un risque de rechute en récession qui incitera la Réserve fédérale américaine à faire preuve de la plus grande prudence dans le relèvement des taux d'intérêt», prédit-il.

Ne rien faire entraînera une dépréciation de la note de crédit qui pourrait survenir avant deux ans et faire aussi beaucoup de mal, estime-t-il, sans avancer le moindre pronostic sur l'issue de cette crise budgétaire.

Le risque d'un dérapage chinois s'alimente à trois sources possibles: des bulles inflationnistes en particulier dans l'immobilier et dans les afflux de capitaux spéculatifs, l'excès de mauvais prêts par les banques et des erreurs de politique monétaire susceptibles d'attiser les tensions sociales.

M. Narvas partage par ailleurs l'avis des banquiers centraux selon qui les récentes pressions inflationnistes en Occident sont de nature passagère. Le prix du baril de pétrole se négocie avec une prime qui peut atteindre 12$US et qui s'explique par les tensions dans le monde arabe. Il s'attend à ce que le prix revienne aux environs de 100$US le baril d'ici la fin de l'année pour remonter graduellement vers les 120$US d'ici 2015. «La demande globale devrait rester forte», prédit-il.

Voilà qui explique pourquoi l'économie canadienne devrait somme toute bien faire, mais la nature de ses exportations est en pleine mutation. On vend moins aux États-Unis qu'il y a 10 ans (74% de nos exportations comparativement à 87% en 1999), moins de produits forestiers et automobiles, moins de machinerie et d'équipement, mais plus d'énergie et de biens industriels.

«La productivité manufacturière est terrible, explique-t-il. On a trop longtemps compté sur une monnaie faible.»

Société Générale Succursale Canada est présente depuis 35 ans à titre de banque d'affaires et d'investissements et y emploie plus de 120 personnes. Son président est Pierre Matuszewski, premier Canadien à occuper cette fonction.

Elle intervient dans plusieurs domaines: institutions financières, multinationales et gouvernements, infrastructures, énergie et services publics, pétrole et gaz, industrie minière et produits agricoles de base.