Faut-il débourser 240$ par année pour se protéger contre le vol d'identité? Ce service a récemment été proposé –avec une certaine insistance– à la titulaire d'une carte de crédit RBC Banque Royale. «J'ai reçu au moins six appels par semaine durant deux semaines avant de leur répondre, narre-t-elle. Vive l'afficheur!»

Quand elle a cédé de guerre lasse, elle a appris que ce service offert avec sa carte de crédit coûtait 17,99$ par mois. Avec les taxes, comptez 243$ par année. Proposé sur le site internet de RBC Banque royale, le service Alerte crédit vous informe de toute demande de solvabilité déposée à votre dossier de crédit, de demande de changement d'adresse ou d'ouverture de nouveaux comptes. Ils peuvent être les indices d'une usurpation d'identité. On vous fournit également une version simple de votre dossier de crédit préparé par Equifax, et on vous informe à tous les trimestres de l'état de santé de votre pointage de crédit. Vous avez enfin accès à un centre de ressources sur la fraude et le crédit.

Chez RBC, on explique que le service est offert par une entreprise externe, Carlson Marketing Canada. La banque ne fait qu'informer ses clients de son existence.

Carlson Marketing est elle-même le distributeur au Canada d'un service prêt à l'emploi, préparé et emballé en collaboration avec la firme américaine Intersections, et offert depuis 2004 en français au Canada.

Sur son site internet, Intersections, fondée en 1996, s'adresse aux institutions en des termes éloquents: «Nous nous associons avec les entreprises pour revendre les solutions Identity Guard – créant de nouvelles sources de revenus pour votre entreprise tout en protégeant vos clients contre ces menaces toujours croissantes.»

 

Chez les autres institutions

La Banque Nationale offre le même service qui porte le même nom, qui semble avoir les mêmes caractéristiques et provient du même fournisseur que celui de RBC, mais coûte 3$ par mois de moins. Peut-être quelques nuances expliquent-elles cet écart, mais nous n'avons pas été en mesure de les repérer. «Quand un client appelle pour activer sa carte de crédit, on lui offre ce produit », informe le porte-parole Denis Dubé. « On peut l'annuler en tout temps.»

La Banque Laurentienne propose elle aussi cette même Alerte crédit, et elle aussi pour 14,99$ par mois.

Chez Desjardins, «la possibilité d'offrir un produit de ce genre est actuellement à l'étude chez nous, mais nous ne saurions vous dire quel en sera le prix ou les caractéristiques», indique la porte-parole Caroline Phémius.

Ni BMO Banque de Montréal ni le Groupe financier TD n'offrent Alerte Crédit.

Equifax Canada propose un service similaire, Crédit-veille, pour 11,95$ par mois: avis par courriel des demandes d'informations, mises à jour trimestrielle du dossier de crédit. Le service inclut une assurance de 2500$, avec une franchise de 250$, pour les frais associés au rétablissement de sa précieuse réputation: perte d'heures de travail, frais de notaire, etc.

À ce propos, Amélie Sirois, porte-parole de l'Agence de consommation en matière financière du Canada (ACFC), fait la mise en garde courante: «Avant d'adhérer à tout produit d'assurance, il est crucial de bien lire et de comprendre les conditions et exclusions décrites dans le contrat.»

Du côté de TransUnion, un service de la même eau coûte 14,95$ par mois: alertes par courriel, accès en ligne illimité à son profil et son pointage de crédit, service téléphonique d'information – mais pas d'assurance.

Le service d'alerte le plus avantageux est probablement celui de CIBC. Avec IntelliCrédit, le détenteur de la carte Visa CIBC sera informé par Equifax Canada des modifications importantes apportées à son «rapport de crédit personnel Equifax, telles que de nouvelles activités, des demandes de renseignements et de nouvelles demandes de crédit».

Et surtout, «c'est gratuit», insiste le porte-parole de CIBC Doug Maybee.

 

Quels sont les risques?

Quels sont les risques que vous soyez victime de vol d'identité? Les données sont éparses et la définition du vol d'identité n'est pas claire pour les victimes, ce qui nuit à la compilation de statistiques fiables.

Les chiffres les plus couramment cités proviennent du Centre d'appel antifraude du Canada, mieux connu sous le nom PhoneBusters. Durant les six premiers mois de l'année en cours, 6696 Canadiens y ont signalé avoir été victimes de vol d'identité. Les pertes ont totalisé 5,17 millions$, pour une moyenne de 772$ par personne. En 2008, 11 381 personnes avaient déclaré un vol d'identité.

Mais ces statistiques ne s'appuient que sur les appels effectués à PhoneBusters. «On pense qu'on peut multiplier ces chiffres par dix», indique le sergent d'état-major Paul Proulx, sous-officier responsable du Centre d'appel antifraude du Canada.

Un sondage réalisé pour Sécurité publique Québec en septembre 2007 auprès de 1100 personnes a révélé que 63 d'entre elles avaient été victimes de l'une ou l'autre forme de vol d'identité au cours des douze mois précédents. Il s'agit d'une proportion de 5,7%.

 

Est-ce que ça vaut 17,99$ par mois?

Combinons quelques-unes de ces statistiques, au risque d'enfreindre les lois des probabilités. L'exercice a au moins la vertu de mettre les coûts en perspective. Avec Alerte crédit de RBC, pour 243$ par année, vous vous protégez contre une perte potentielle moyenne de 772$, qui a une chance sur 18 de se produire.

Au surplus, toute perte a de bonnes chances d'être essuyée par une institution financière.

Le site internet du Centre d'appel antifraude du Canada (PhoneBusters) est très explicite: «N'oubliez pas qu'il n'y a aucune raison d'être paranoïaque; vous n'avez qu'à être prudent», y lit-on. «La meilleure façon de se protéger est de devenir une cible plus difficile à atteindre. Si vous êtes victime d'un vol d'identité, ne vous affolez pas, vous ne serez pas sans argent. Les pertes seront attribuées aux banques ou aux entreprises associées à la fraude.»

Lorsque le vol d'identité a trait à la carte de crédit, l'institution financière assumera la perte. La franchise maximale de 50$ n'est souvent pas appliquée.

Dans les autres cas, la responsabilité est moins nette. «Cela dépend du type de fraude qui résulte du vol d'identité, indique Christelle Chesneau, coordonnatrice pour le Québec de l'Association des banquiers canadiens. Par exemple, si un criminel parvient à obtenir une carte de crédit ou une hypothèque en votre nom, la banque paiera. Si un criminel achète des meubles ou de l'équipement électronique dans un magasin ou encore grâce à l'un des programmes de paiement différé tel «aucun dépôt, aucun paiement pendant deux ans», le magasin paiera. Il est aussi possible pour les individus d'usurper l'identité de quelqu'un ou de créer une nouvelle identité pour obtenir de l'aide sociale ou des soins médicaux. Dans ce dernier cas, les divers paliers du gouvernement paieront.»

En contradiction avec ces propos rassurants, le sondage réalisé pour Sécurité publique Québec a montré que 40% des victimes n'ont reçu aucune compensation. Dans huit cas sur dix, la perte était inférieure à 500$, et dans 58% des cas, de moins de 100$.

Il est vrai que les ennuis, tracas, soucis et démarches consécutives à un vol d'identité suffisent à justifier des mesures préventives. Il faudra aviser votre institution financière, les bureaux de crédit, PhoneBusters, peut-être dépenser temps et argent pour les convaincre de votre bonne foi et rétablir votre réputation.

 

Un service d'alerte est-il indispensable?

Aux États-Unis, les associations de consommateurs regardent d'un oeil circonspect les services d'alerte de crédit qui fleurissent depuis quelques années sur le terreau fertile de l'inquiétude.

La Consumer Federation of America a étudié les sites internet de 16 d'entre eux. Certains de ces services peuvent être utiles, indique l'auteure du rapport, mais aucun ne prévient totalement le vol d'identité. En outre, plusieurs des bénéfices de ces services peuvent être obtenus autrement par le consommateur, gratuitement ou à moindre coût.

Chez nous, Option consommateurs se montre tout aussi prudente. «Ce produit n'offre aucune garantie contre le vol d'identité», prévient Karine Robillard, avocate et conseillère budgétaire.

Elle questionne également la pertinence d'un relevé trimestriel du pointage de crédit. «C'est peut-être important de le connaître avant de magasiner une maison, mais je remets un peu en doute l'importance de connaître ce score à tous les trois mois.»

Mieux vaut conseiller les gens sur les façons de maintenir un bon dossier de crédit, croit-elle

L'accès à un centre de ressources sur les fraudes et le crédit n'est pas non plus l'apanage d'un service d'alerte de crédit. Karine Robillard rappelle que le Centre d'appel antifraude du Canada, le Commissariat à la protection de la vie privé, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) et les associations de consommateurs répondent à ces questions. Gratuitement. 

Reste le point central d'un service d'alerte : les demandes de solvabilité au dossier de crédit.

«Le consommateur peut commander lui-même son dossier de crédit aussi souvent qu'il le désire, et ce gratuitement, auprès des deux agences d'évaluation du crédit au Canada, soit Equifax et TransUnion», rappelle Amélie Sirois, agente de communication à l'ACFC. L'Agence de consommation en matière financière du Canada et Option consommateurs recommandent d'ailleurs de demander son dossier de crédit au moins une fois par année, et dès qu'on soupçonne que des renseignements personnels ont été volés.

Si on peut commander gratuitement une copie de son dossier de crédit par téléphone ou par la poste, les demandes en ligne sont payantes. «On peut faire des demandes à plusieurs reprises s'il y a des inquiétudes, souligne Karine Robillard. Ça n'a aucune influence sur la cote de crédit.»

Ce dossier ne contient pas le pointage de crédit (score Fico). Pour l'obtenir chez Equifax, il faut commander l'ensemble dossier et pointage pour 23,95$. Chez TransUnion, le pointage de crédit est disponible indépendamment pour 7,95$.

Vous avez perdu votre portefeuille, un document important a disparu, et vous craignez qu'un individu sombre et malintentionné se serve frauduleusement de ces renseignements? «Vous pouvez placer une alerte dans votre fiche de crédit, qui va indiquer qu'une pièce d'identité a été perdue ou volée, décrit Odette Auger, vice-présidente exploitation chez Equifax Canada. Dès qu'un créancier accédera à votre fiche, il lira cette alerte et il devra prendre des mesures pour bien vous identifier avant d'accorder le crédit.»

Ce service est gratuit et peut être mis en place par téléphone.

Si vous êtes effectivement victime de vol d'identité, vous devrez contacter les bureaux de crédit, qui placeront cette fois un avis de fraude plus spécifique.

 

D'abord, un peu de prévention

La protection contre le vol d'identité commence – sans frais – par quelques mesures de prévention. Voici quelques-uns des conseils prodigués par l'Agence de consommation en matière financière du Canada, Option consommateurs et l'Association des banquiers canadiens.

-Ne communiquez pas des renseignements personnels au téléphone, à moins d'avoir établi vous-même la communication.

-Ne donnez pas de renseignements personnels par courriel : ce mode de transmission n'est pas sécurisé.

-Avant de le jeter, déchiquetez tout document qui contient des renseignements personnels – reçus, formulaires d'assurance, demande de carte de crédit, etc.

-Protégez votre ordinateur : assurez-vous que les pare-feu et autres logiciels de protection sont à jour.

-Méfiez-vous des courriels qui prétendent provenir des institutions financières.

-Ne faites des transactions sur internet qu'avec des sites sécurisés.

-Surveillez votre courrier, fermez si possible votre boîte aux lettre à clé, et prévenez l'entreprise concernée si un compte mensuel ne vous est plus livré.

-Ne gardez sur vous que le minimum de renseignements personnels: laissez la carte d'assurance sociale à la maison.

-Ne laissez pas traîner de documents contenant des renseignements personnels à la maison, dans votre voiture et au bureau.

-Conservez les documents d'identité (numéro d'assurance sociale, certificat de naissance et passeport) dans un lieu sûr.

-Dans les lieux publics, assurez-vous que votre portefeuille ou votre sac à main n'est pas accessible.

-Lors d'un achat, ne perdez pas de vue votre carte de paiement.

 

Et si le malheur survient...

-Communiquez avec le service de police de votre localité pour porter plainte. Demandez une copie du rapport de police.

-Contactez chaque société et créancier qui prétendent vous avoir consenti un prêt ou vendu un produit et dénoncez la situation. Demandez de fermer les comptes frauduleux et informez-vous des documents et renseignements à fournir.

-Contactez les bureaux de crédit TransUnion Canada et Equifax Canada, avisez-les de la fraude, demandez une copie de votre dossier de crédit et faites inscrire à votre dossier une alerte de crédit.

-Communiquez avec le Centre d'appel antifraude du Canada (PhoneBusters).

-Signalez aux organismes et ministères la perte des documents qu'ils ont émis.

 

Quelques ressources

Centre d'appel antifraude du Canada (PhoneBusters) : 1 888 495-8501 www.phonebusters.com

 

Equifax Canada (pour commander votre fiche de crédit, dénoncer un vol d'identité ou pour demander qu'un avis d'alerte soit déposé dans votre dossier) : 1 800 465-7166

www.equifax.ca

 

TransUnion Canada, résidents du Québec : 1-877-713-3393 ou 1-514-335-0374

www.transunion.ca

 

Institut de sécurité de l'information du Québec (ISIQ) : www.monidentité.isiq.ca

 

Commissariat à la protection de la vie privé du Canada : www.priv.gc.ca

 

Agence de la consommation en matière financière du Canada : www.fcac-acfc.gc.ca