Une bonne nouvelle pour les exportateurs canadiens, la faiblesse actuelle du huard? En théorie, oui. Mais dans les faits, l'effondrement de la demande mondiale - et surtout américaine - vient en annuler la plupart des effets bénéfiques.

C'est ce qu'ont indiqué la majorité des manufacturiers et économistes consultés par La Presse Affaires, hier. Les perspectives des exportateurs apparaissent très sombres, disent-ils en somme, même si le dollar canadien a chuté de 29% par rapport à la devise américaine depuis son sommet de 1,10$US atteint il y a 15 mois.

 

«Peu importe le coût des marchandises exportées, si personne n'est prêt à les acheter, on n'est pas gagnant! résume Mathieu Lefebvre, économiste au Mouvement Desjardins. Dans le contexte actuel, ce serait surprenant de voir les Américains accroître leur contenu importé.»

En fait, les Américains, principaux acheteurs de produits canadiens, se serrent la ceinture comme jamais depuis l'été dernier. Les ventes au détail mensuelles ont chuté de 40 milliards de dollars entre juin et janvier aux États-Unis, passant de 384 à 345 milliards. Comme si la population du Québec au grand complet cessait tous ses achats pendant cinq mois!

Dans ce contexte, «on ne peut pas dire que la nouvelle baisse du dollar est accueillie avec le même enthousiasme que si la demande avait été stable ou s'était améliorée», dit Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

L'avantage concurrentiel artificiel dont bénéficiaient les exportateurs canadiens quand le huard valait 62 cents US - en 2002 - semble aujourd'hui caduc. Et la hausse prévue du dollar d'ici la fin de 2009, aux environs de 86 cents US selon deux économistes consultés hier, vient d'autant plus réduire les chances que des manufacturiers profitent de la devise faible pour stimuler leurs exportations.

Certaines entreprises profitent malgré tout de la baisse récente du dollar. Les rares dont les ventes demeurent stables aux États-Unis, comme le fabricant d'emballages et de papiers tissu Cascades. «C'est un des éléments très importants pour Cascades en ce moment», dit Christian Dubé, vice-président et chef de la direction financière.

Pour chaque cent de baisse du huard par rapport au billet vert, l'entreprise des Bois-Francs voit ses profits d'opération grimper de 4 à 5 millions, dit M. Dubé.

La majorité des fabricants canadiens sont loin d'avoir cette chance. Selon une étude récente de l'organisme Manufacturiers et exportateurs du Canada (MEC), 56% des entreprises sondées en février s'attendent à une chute de leurs commandes au cours des trois prochains mois. En janvier, elles étaient 43% à faire preuve d'un tel pessimisme. L'érosion est rapide.

Achat d'équipement

S'il profite peu aux exportateurs, le recul du huard nuit fortement aux importateurs et aux entreprises qui achètent beaucoup d'équipements et de marchandises en dollars américains.

«Si je suis dans le commerce de gros, et que je fais de l'import de produits manufacturés à l'étranger, c'est une hausse de 25% de mes coûts d'intrant à laquelle je viens d'assister», dit Simon Prévost, vice-président pour le Québec à la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, qui représente des PME.

La faiblesse du huard contribuera à un recul de 13,1% des investissements privés - incluant l'achat de machinerie, d'outillage et de technologies - au Canada en 2009, a prédit Statistique Canada dans une étude récente. La chute sera «probablement plus forte», estime l'économiste Benoît Durocher, de Desjardins.

Les entreprises auraient dû profiter de la force du huard des dernières années pour investir massivement, mais plusieurs en ont été incapables, a indiqué à La Presse Affaires Jayson Myers, président de MEC.

«Depuis 2002, le dollar plus élevé, combiné à des coûts d'énergie plus élevés, est venu gruger une partie des liquidités, explique-t-il. Les entreprises qui ont été capables de faire ces investissements sont celles qui étaient capables de contrebalancer cela. Avec la situation actuelle, c'est plus dispendieux. C'est une situation inextricable.»