Dès l'année en cours, les finances publiques fédérales plongent dans le rouge et le resteront jusqu'en 2013-2014, selon les nouvelles projections très prudentes d'Ottawa.

Contrairement à ce qu'affirmait encore en novembre le ministre des Finances, Jim Flaherty, le présent exercice qui prendra fin le 31 mars devrait se solder par un léger déficit de 1,1 milliard, le premier en 12 ans. Il résulte surtout des risques accrus sur les revenus pour les trois derniers mois de l'exercice en cours et, dans une moindre mesure, de l'entrée en vigueur au 1er janvier de baisses d'impôts.

 

Les budgets des deux années suivantes seront beaucoup plus écarlates en raison des effets négatifs de la décroissance présente sur les revenus et des dépenses accrues annoncées hier pour relancer l'économie.

En conséquence, Ottawa prévoit un déficit de 33,7 milliards en 2009-2010. L'année suivante sera aussi déficitaire, avec un manque à gagner de 29,8 milliards.

Les finances publiques devraient vite se redresser par la suite, avec le retour de la croissance, stimulée par les dépenses de l'État.

Sans les mesures de relance annoncées hier, le budget fédéral aurait quand même plongé dans le rouge à hauteur de 15,7 milliards en 2009-2010 et de 14,3 milliards, l'année suivante. Le retour au vert ne se serait produit qu'en 2013-2014, à supposer que le laisser-faire gouvernemental aurait permis un retour assez rapide à la croissance.

Celle-ci sera très forte dès 2011, prévoit Ottawa. Il table sur une récession de trois trimestres commencée l'automne dernier et qui serait suivie par une reprise d'abord molle.

Cinq budgets écarlates d'affilée n'auront pas pour effet de ballonner la dette publique, comme l'avait fait la très longue séquence précédente de trous budgétaires qui s'est étendue de 1974 à 1996.

Le ratio de la dette publique sur la taille de l'économie passera de 28,6% à 32,1% d'ici 2010-2011. Après quoi, il baissera à nouveau, malgré deux autres déficits budgétaires à venir. Même haussé, le ratio demeure le plus faible des membres du G7 dont les programmes de relance plomberont davantage leurs finances publiques que celui d'Ottawa, de surcroît.

En fait, avec un peu de chance, Ottawa pourra même s'en tirer un peu mieux que sa prévision.

Le ministère des Finances s'est délibérément montré pessimiste dans ses prévisions de revenus: il retranche 100 milliards à la croissance de la taille de l'économie au cours des cinq prochaines années, anticipée par les économistes du secteur privé.

Ottawa construit ainsi son budget de l'année 2009-2010 en faisant l'hypothèse que la taille de l'économie, ou le produit intérieur brut nominal selon le jargon des économistes, s'amincira de 2,7% cette année. Le secteur privé prévoit seulement 1,2% d'allègement.

Selon les calculs des fonctionnaires fédéraux, une diminution d'un point de pourcentage du PIB nominal entraîne un manque à gagner de 1,3 milliard la première année et de 1 milliard la seconde. Il s'agit là d'une règle générale empreinte cependant d'une marge d'erreur élevée.

Les prévisions de revenus d'Ottawa sont néanmoins revues à la baisse.

Cela équivaut à lui créer un coussin, un double fond dans sa sacoche, aurait dit la ministre québécoise des Finances, Monique Jérôme-Forget. Ottawa choisit sans humour de nommer l'opération le rajustement en fonction du risque.

Il s'élève à 800 millions pour l'année en cours et à 4,5 milliards pour les deux prochains exercices. Même pour l'année du retour au temps béni des surplus, Ottawa se dote d'un coussin de 800 millions.

«Il se crée toute une marge de manoeuvre sur le dos de l'incertitude économique», résume François Dupuis, vice-président et économiste en chef chez Desjardins.

Les revenus anticipés seront fortement à la baisse pour l'exercice qui commence le 1er avril. Ils passent de 236,4 à 224,9 milliards entre 2008-2009 et 2009-2010, avant de croître presque au rythme de 7% par la suite. «C'est beaucoup», résume Stéfane Marion, économiste en chef à la financière Banque Nationale.

Pareille croissance suppose une solide reprise qui devra s'appuyer sur la relance de l'économie américaine et des pays émergents, grands consommateurs de produits de base canadiens.

Elle présume aussi que les manques de revenus anticipés provenant de l'imposition des gains en capital et de l'impôt des sociétés ne créeront pas de mauvaises surprises. Ottawa reconnaît que prévoir ces postes budgétaires se révèle un exercice périlleux dans un contexte d'incertitude économique.

Pour l'année qui s'achève, les revenus sont en baisse de six milliards sur l'exercice précédent. Les baisses d'impôt sur le revenu y sont pour quelque chose mais la réduction d'un point de pourcentage de la TPS aura privé Ottawa de 3,6 milliards et d'un treizième surplus d'affilée.