Le dévoilement progressif des principaux éléments du budget fédéral auquel les Canadiens ont assisté au cours des derniers jours est une première dans un pays où la tradition du secret budgétaire a toujours été scrupuleusement respectée, par Ottawa et par les provinces.

Raymond Garneau, ancien ministre des Finances du Québec, n'en revient pas de constater que plusieurs ministres ont reçu du bureau du premier ministre la mission de dévoiler un bout du budget qui sera présenté officiellement aujourd'hui. «Ça indique que l'appareil politique commencer à jouer avec les règles du jeu et c'est un manque d'éthique fondamental», a commenté celui qui a préparé et déposé six budgets.

 

Le secret budgétaire est une tradition du système parlementaire britannique qui vise à éviter qu'un groupe de contribuables tirent avantage d'informations contenues dans le budget. Le secret vaut surtout pour les mesures fiscales, comme les nouvelles taxes par exemple, mais aussi pour les prévisions de dépenses et déficit qui peuvent perturber les marchés financiers.

Il s'agit d'une règle non écrite, mais qui a toujours été prise très au sérieux par les gouvernements. Le ministre des Finances peut en effet être obligé de démissionner en cas de fuite. C'est la raison pour laquelle les documents budgétaires sont surveillés comme si c'était des lingots d'or et que les journalistes qui doivent en communiquer le contenu ont accès aux documents d'avance à condition de s'enfermer sous bonne garde et sans aucun contact avec l'extérieur.

En demandant à plusieurs de ces ministres de dévoiler des pans entiers du budget, le premier ministre Stephen Harper rompt avec la tradition, et pas à moitié. Par exemple, c'est à la télévision que la ministre des ressources humaines, Diane Finley, a fait savoir que le budget contiendra une injection de 1,5 milliard de dollars dans la formation des travailleurs licenciés.

C'est du jamais vu, a confié au Globe and Mail l'économiste Don Drummond, de la Banque TD, qui a passé plusieurs années de sa vie au ministère fédéral des Finances.

Ce striptease budgétaire est exceptionnel, et il s'explique probablement par la crise exceptionnelle que nous traversons, estime Jean-Luc Trahan, porte-parole des Manufacturiers et exportateurs du Québec.

M. Trahan, qui attend beaucoup du budget d'aujourd'hui, n'est pas surpris par la divulgation de pans entiers de son contenu. «La tradition du secret va revenir quand la situation sera revenue à la normale», a-t-il dit.

Le secret budgétaire continuera d'être respecté, s'il n'en tient qu'à la ministre des Finances du Québec, Monique Jérôme-Forget. «On a toujours respecté cette façon de faire et on a l'intention de continuer. Non, on n'a pas l'intention d'imiter Ottawa», a fait savoir la porte-parole de la ministre, Catherine Poulin.

L'économiste Jean-Pierre Aubry, spécialiste des politiques publiques à l'Association des économistes du Québec, est d'avis que la façon de procéder du gouvernement conservateur, en rupture avec la tradition, est un mauvais signe. «Ça veut dire qu'il n'a pas de vision et qu'il essaie de faire des gains politiques à court terme», a-t-il commenté.

Plus qu'un ensemble de mesures, un budget est avant tout une direction donnée par le gouvernement, ajoute-t-il. «Avec la crise actuelle, le plan de relance devrait avoir une vision d'ensemble», dit M. Aubry.