Prendre le contrôle d'un constructeur automobile établi est une grande ambition de fin de carrière pour Frank Stronach, 77 ans, président-fondateur de Magna International.

N'empêche. Avec le choix de son offre par GM pour sa division Opel en Europe, l'homme d'affaires torontois sait que l'entreprise qu'il a fait grandir depuis 40 ans d'une PME de garage à une multinationale des pièces automobiles s'engage dans un défi considérable.

«Même si nous avons fait la meilleure offre pour Opel, nous n'obtenons pas de cadeau avec cette acquisition», a commenté M. Stronach en début de semaine, alors qu'il attendait la décision de GM sur son offre présentée en mai dernier.

Le grand patron de Magna a de bonnes raisons de contenir son enthousiasme, en public du moins.

D'une part, ses principaux adjoints et lui sont déjà aux premières loges de la crise qui frappent l'industrie automobile en Europe et en Amérique du nord.

Énorme fournisseur de composantes, Magna a vu ses revenus plonger de 32% depuis un an. Et malgré la fermeture de dizaines d'usines et des milliers de licenciements, Magna est passé d'un profit de 617 millions US à une perte de 768 millions, sur une base annualisée au 30 juin.

Par ailleurs, les patrons de Magna se souviennent de leur ambition antérieure pour Chrysler, lors de sa mise en vente il y a trois ans.

Le fonds d'investissement Cerberus a prévalu avec son offre de 7 milliards. Mais la suite lui fut désastreuse.

«Nous avons été chanceux de rater cette acquisition» a admis Frank Stronach en entrevue avec CBC News, le printemps dernier.

Par conséquent, au lieu de crouler sous Chrysler, et malgré la récession, Magna se retrouve en situation financière très enviable parmi ses pairs.

Au 30 juin, son bilan en mi-année affichait une dette à long terme minime de 659 millions US, largement compensée par des liquidités d'au moins 1,7 milliard.

Bref, de quoi endurer la récession sévère dans l'automobile tout en finançant des projets d'expansion, surtout vers l'Europe.

Aussi, Magna a su profiter des années de prospérité dans l'automobile pour multiplier ses relations d'affaires outre-Atlantique.

Un exemple : c'est en Autriche, pays d'origine de M. Stronach avant d'immigrer au Canada en 1954, que Magna est devenu le premier fournisseur de pièces à s'aventurer vers l'assemblage de véhicules complets en sous-traitance. Ses clients : les BMW, Mercedes-Benz et Porsche, rien de moins !

Au niveau financier, c'est dans la nouvelle classe capitaliste en Russie que Magna a trouvé des alliés pour appuyer ses ambitions vers des marchés prometteurs comme l'Europe de l'Est.

Avec son offre pour Opel, c'est encore en Russie, avec la Sberbank, que Magna a trouvé son principal partenaire financier. Leur consortium à parts égales détiendra le bloc de 55% des actions du prochain capital remanié d'Opel.

Par ailleurs, une firme immobilière affiliée à Magna, MI Developments, a déjà annoncé trois projets d'usines en Russie, toutes reliées à l'automobile.

Mais dans l'immédiat, Magna devra d'abord compléter une transaction très complexe pour Opel. Elle implique une banque russe, des fonds publics d'Allemagne assortis de conditions d'emplois, les syndicats d'Opel et même GM, qui demeure actionnaire à 35% et un partenaire majeur d'Opel.

Ensuite, Magna et ses nouveaux partenaires devront piloter une révision sévère de l'exploitation d'Opel. On s'attend à des fermetures d'usines et la suppression de milliers d'emplois en Europe de l'Ouest.

Cet exercice s'annonce très délicat en Allemagne, en raison du soutien financier de 4,5 milliards d'euros promis par le gouvernement allemand.

En contrepartie, l'investissement initial de Magna dans Opel - 500 millions d'euros partagés avec la banque russe Sberbank - s'annonce plutôt modéré.

Aux Bourses de Toronto et de New York, les investisseurs ont d'ailleurs poussé les actions de Magna en légère hausse après l'annonce du choix de GM.

Selon l'analyste Peter Sklar, qui suit Magna chez Marchés des capitaux BMO, «les investisseurs apprécient le potentiel de croissance d'Opel vers des marchés comme la Russie. Aussi, ils anticipent des avantages pour Magna de contrôler un constructeur qui demeurera une importante source technologique pour GM et ses prochains véhicules à mandats mondiaux.»