Les producteurs maraîchers ne garderont pas un bon souvenir de l'été 2018.

«Ça n'a pas été facile dans le brocoli et dans le chou-fleur», a confié à La Presse le président de la Fédération des producteurs maraîchers du Québec, Jean-Marie Rainville.

Les pertes pourraient s'élever à «au-delà de 50%» dans le secteur des crucifères, les légumes feuillus, explique-t-il.

La saison a par exemple été «moyenne» pour la laitue, qui «n'aime pas les chaleurs extrêmes» ; elle «monte en graines avant d'être prête à récolter».

Seul point positif : les agriculteurs ont utilisé «moins de fongicides» pour combattre les maladies qui viennent habituellement avec l'humidité, note M. Rainville. «Les gros producteurs sont équipés pour irriguer, mais ce n'est jamais comme quand la nature t'en donne.»

D'autant que la sécheresse s'est «quasiment étirée sur deux mois au lieu d'une semaine ou deux», ce qui est beaucoup plus courant, précise-t-il.

Les aléas de la nature ont des répercussions financières pour les agriculteurs, qui doivent travailler davantage et donc dépenser plus pour sauver leurs récoltes, explique M. Rainville.

Petits producteurs éprouvés

«Nos choux et nos rutabagas, on a vraiment failli les perdre», raconte Sylvie Rochette, cofondatrice et directrice générale du Regroupement partage.

L'organisation cultive des légumes biologiques sur l'une des dernières terres agricoles de l'île de Montréal afin de pourvoir les banques alimentaires de la métropole, un projet baptisé Cultiver l'espoir.

«L'équipe de production a travaillé des 24 heures sans arrêt» pour sauver la récolte, a-t-elle raconté à La Presse, ce qui n'a pas empêché la perte d'un hectare de carottes, soit un sixième de la production.

«Pour un projet comme le nôtre, ça a un impact majeur, ça ralentit notre progression vers l'autonomie financière», explique Mme Rochette, dont l'organisation, qui n'avait pas encore d'assurance récolte, vend une partie de ses collectes pour financer ses activités.

«Les changements climatiques ont eu un impact majeur sur la culture.»

À sa première saison, il y a deux ans, l'organisation a vu ses terres inondées. L'an dernier, une bactérie s'est attaquée à ses carottes. «Cette année, c'était la sécheresse!», s'exclame Mme Rochette.

Indemnités en hausse

«C'est un été qui n'est pas facile», résume André Houle, directeur principal du développement des programmes en assurance à la Financière agricole. «Il y a des secteurs où les pertes vont être importantes.»

Son organisation a déjà versé près de 48 millions de dollars en indemnités, ce qui est déjà nettement au-dessus de la moyenne des dernières années, alors que la saison n'est même pas encore terminée.

Il faut remonter à 2009 pour trouver une année où davantage d'indemnités ont été versées.

La sécheresse a notamment causé bien des maux de tête aux éleveurs de l'est du Québec, puisque les fourrages nécessaires à l'alimentation des animaux ont donné des rendements faibles.

«Il y a des zones où le fourrage n'était pas disponible», raconte M. Houle, ce qui a forcé les éleveurs à s'approvisionner dans d'autres régions.

À la sécheresse s'est ajouté un autre problème, dit-il : une «mortalité importante chez les abeilles», ces essentielles pollinisatrices.

Les céréales s'en tirent mieux

Le maïs et le soja ont quant à eux connu un été dans la moyenne.

Les conditions climatiques ont même permis de devancer la récolte des céréales, dont 55% des superficies avaient été récoltées en date du 31 août, contre 8 % à pareille date l'an dernier.

En fait, la principale ombre au tableau est «la guerre des tarifs entre les Chinois et les Américains, qui a fait beaucoup baisser le prix du soja», a indiqué à La Presse Benoît Legault, directeur général des Producteurs de grains du Québec.

Par contre, les «céréales à paille» que sont le blé, l'avoine et l'orge ont connu une saison «décevante», note M. Legault, qui évalue que les rendements seront «de 10 à 15% en dessous de la moyenne».

«Ça fait deux années de suite dans l'est du Québec qu'on juge anormales en ce qui concerne la sécheresse.»

«Une chaleur sans précédent en 146 ans»

Le constat des agriculteurs est juste : l'été qui vient de se terminer a bel et bien été anormalement chaud et sec, démontrent les données recueillies par le ministère québécois du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Après un mois de juin frais, «a température moyenne combinée pour juillet et août [a surpassé] de 2,2 °C la normale de 1981 à 2010», une «chaleur sans précédent en 146 ans d'observations dans le sud du Québec», peut-on lire sur le site internet du Ministère.

Cette température élevée a été combinée à des «pluies jusqu'à moitié moindres que la normale» dans la vallée du Saint-Laurent et dans l'est de la province. «Si les gens ont trouvé qu'il a fait chaud, attachez vos tuques, parce qu'en 2050, ça va être un été classique», s'exclame Alain Bourque, directeur général du consortium de recherche indépendant sur le climat Ouranos. Et à ce type d'été «normal» s'ajouteront aussi des «étés extrêmes , encore plus chauds, ajoute-t-il, en précisant que «le climat n'est pas encore stabilisé».

D'ailleurs, les statistiques démontrent que trois des six mois d'août les plus chauds dans l'histoire du Québec ont été observés au cours des quatre dernières années.

INDEMNITÉS VERSÉES EN ASSURANCE RÉCOLTE

2018 : 48 millions (en date du 25 septembre)

2017 : 37,3 millions

2016 : 16,9 millions

2015 : 13,6 millions

2014 : 28,0 millions

2013 : 32,5 millions

2012 : 26,3 millions

2011 : 37,8 millions

2010 : 42,3 millions

2009 : 118,9 millions

Source : La Financière agricole du Québec