Il suffit de soulever le paquet de biscuits du rayon pour qu'un affichage lumineux renseigne sur son origine, sa valeur nutritionnelle, ses allergènes et son empreinte carbone. À l'Expo universelle de Milan, l'avenir alimentaire se joue sur l'information du consommateur.

Pour le Turinois Carlo Ratti, concepteur de ce Future Food District (FFF, sur l'alimentation de l'avenir), le supermarché de demain s'appuiera sur les nouvelles technologies électroniques pour (re)connecter le cuisinier et les consommateurs aux producteurs. Et les informer de la façon la plus précise possible sur le contenu de leur assiette.

La chaîne alimentaire s'est complexifiée au cours du XXe siècle, remarque M. Ratti, directeur de recherche au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). «Paradoxalement, la chaîne de production et de distribution était plus claire et le consommateur mieux informé sur ce qu'il consommait par le passé».

Même si les circuits courts sont devenus une vraie tendance --vente directe à la ferme, sur les marchés ou via internet--, l'essentiel des échanges alimentaires dans le monde développé passe par le commerce spécialisé.

Dans ce contexte, les nouvelles technologies «doivent nous reconnecter au monde réel et nous donner les clés pour l'interpréter et l'enrichir», estime M. Ratti.

Elles permettront surtout de «supprimer les nombreuses barrières entre consommateur et producteur», alors que l'industrie agroalimentaire est considérée comme l'une des plus opaques de toutes.

Bien sûr, Carlo Ratti a fait pousser des algues dans les alvéoles d'un kiosque en plastique transparent sur la piazza du FFF. Imaginé un carré d'herbes aromatiques au coeur d'une grande table à manger, son «nouveau Déjeuner sur l'Herbe» en résonance avec Manet. Créé un mur végétal pour un potager urbain.

Méduses contre parmesan

Mais la pièce majeure de son dispositif reste ce supermarché interactif, où le visiteur peut réellement faire ses courses, quitte à se faire envoyer son panier par UPS.

Entre les travées, Andrea Galanti, l'architecte du projet, observe les clients flâner dans le silence, sans musique ni réclames.

«Aujourd'hui, quand on rentre dans un supermarché on essaye d'en sortir le plus vite possible. On attrape les produits, on court aux caisses et on s'empresse de partir. Sans même lire les étiquettes ou les informations sur le produit, car l'espace est très peu hospitalier!», relève-t-il.

L'avenir ce sont des espaces interactifs «à taille humaine. Des lieux qu'on peut modeler selon les exigences», explique-t-il.

Seul le rayon «nourritures du futur» est exclu de la vente: strictement expérimental, il présente des sachets de sauterelles au sel et des méduses sous blister -- les gourmands pourront sans doute attendre.

Mais la vraie révolution est à portée de main pour Carlo Ratti. Entre salades de Trévise, parmesan, jambons crus, pâtes et vins, un véritable royaume gourmand de la péninsule, pour lequel il s'est associé au réseau des «Coop», les coopératives de consommateurs, puissantes en Italie avec 8 millions d'adhérents.

«Nous on ne produit rien, mais on se regroupe pour acheter ensemble, négocier les prix auprès des grandes marques de produits de base», explique William Scovino, représentant de la grande Coop Lombardia (la région de Milan), en soulevant un yaourt au lait de chèvre pour s'enquérir de la présence d'allergènes et du prix au litre.

Pour les produits vendus sous ses marques propres (Coop, Fior Fiore ou Vivi Verde pour le bio), le réseau contacte et sélectionne les producteurs, établit son cahier des charges et définit le prix.

«Si on doit changer de fournisseur, les adhérents sont réunis et on goûte ensemble pour choisir», souligne Matteo de Capitoni, volontaire de Coop Lombardia.

«Les consommateurs des Coop sont déjà engagés dans une démarche de partage de leurs besoins communs, de leurs principes et de leurs valeurs», relève William Scovino. Selon le FFF, on compte 70 millions d'adhérents dans le monde.

Ces initiatives, lointaines héritières des «Equitables Pionniers de Rochdale» au XIXe siècle en Angleterre, sont nées en Italie en 1948, sous le patronage Parti communiste («coop rouges») ou de l'Église («coop blanches»).

Mais à Milan, ce passé est désormais l'avenir.