Le regroupement des 5900 producteurs de lait du Québec s'inquiète à nouveau que son système de quotas de production et d'importation, qu'il gère depuis 30 ans, soit l'un des enjeux d'un autre projet d'accord commercial d'envergure que négocie le Canada avec un groupe de pays.

Dans la foulée de l'accord avec l'Union européenne, il s'agit du Partenariat transpacifique, ou PTP dans le jargon diplomatique. Ces négociations d'un pacte commercial impliquent 12 pays parmi les plus importants dans le bilan commercial et financier international du Canada, dont les États-Unis, le Mexique, le Japon, l'Australie et Singapour.

Les Producteurs de lait du Québec appréhendent une répétition de la «brèche considérable» dans leur système de gestion de l'offre qui, disent-ils, a été ouverte par le Canada afin de parvenir à un accord commercial d'envergure avec l'Union européenne en octobre 2013.

Dans cet accord, le Canada accepte de doubler à 32 000 tonnes par an les quotas d'importation de fromages européens, en échange d'un meilleur accès au marché européen pour ses exportateurs de viande de boeuf et de porc.

Pour atténuer l'impact de cette hausse de quotas d'importation sur l'industrie fromagère, qui est concentrée au Québec, le gouvernement Harper avait indiqué qu'il proposerait des mesures transitoires de compensation.

Or, déplore-t-on dans le secteur laitier, la teneur de ces mesures promises demeure inconnue presque un an après l'annonce de l'accord entre le Canada et l'Europe.

«Nous sommes encore dans le noir à ce sujet, comme lors de la fin des négociations l'an dernier lorsqu'on nous assurait à Ottawa que la gestion de l'offre en agriculture [lait, volaille, oeufs] n'était pas remise en question», indique François Dumontier, porte-parole des Producteurs de lait du Québec.

«Mais peu après, nous avons appris que les quotas d'importation de fromages européens seront plus que doublés, ce qui provoquera des pertes de revenus considérables au secteur laitier québécois.»

Avec la négociation du PTP, encore derrière des portes closes, déplore M. Dumontier, le milieu agricole craint que le même scénario se répète, avec l'ouverture d'une «seconde brèche» dans le système de gestion de l'offre. Et cette fois-ci, en plus des producteurs de lait, ce sont les systèmes de gestion de l'offre des éleveurs de volaille et des producteurs d'oeufs qui pourraient être affectés.

Chez l'opposition néo-démocrate à Ottawa, on déplore aussi «l'absence de transparence» du gouvernement Harper sur cet autre projet d'accord commercial, comme lors de la négociation de l'accord avec l'Europe.

«Encore une fois, on ne sait pas ce qui se négocie avec ce PTP. Et quelles conditions sont posées au Canada, notamment à l'égard de son système de gestion de l'offre en agriculture», déplore Guy Caron, député de Rimouski-Témiscouata et porte-parole adjoint du Nouveau Parti démocratique en matière de commerce international et de finances.

Au cabinet du ministre fédéral du Commerce international, Ed Fast, les questions de La Presse Affaires à propos des négociations du PTP ont été répondues par un bref courriel générique.

«Le Canada est déterminé à approfondir nos liens commerciaux dans la région dynamique de l'Asie Pacifique qui évolue rapidement, tout en renforçant nos partenariats traditionnels avec les Amériques, y lit-on. Le Canada s'engage à jouer un rôle constructif dans la promotion de cette initiative et continue de travailler sur un PTP rigoureux qui servira nos intérêts respectifs.»

Pendant ce temps, des échos politiques provenant de Washington suggèrent qu'un nombre croissant d'élus au Congrès font pression sur l'administration Obama pour qu'elle obtienne des concessions en matière de commerce agricole de la part du Japon et du Canada, sous peine de les exclure des négociations du PTP.

Selon Christopher Sands, analyste des politiques commerciales à l'Institut Hudson à Washington, l'aboutissement réel de ces tractations politiques entre le Congrès et la Maison-Blanche «reste à voir» à propos de futurs accords commerciaux.

«Il faut considérer que le président Obama n'a toujours pas obtenu du Congrès l'autorisation de fast track [négociations accélérées] pour des accords commerciaux qu'il réclame depuis février, lors de son discours sur l'état de l'Union. Dans ce contexte, les doléances d'un groupe de membres du Congrès contre le protectionnisme agricole du Canada et du Japon pourraient être du nombre des conditions posées au président avant de lui accorder le fast track», selon M. Sands.

Cela dit, cet analyste d'expérience des relations commerciales entre les États-Unis et le Canada avertit que les doléances contre le système canadien de quotas d'importation et de tarifs douaniers très élevés pour certains produits agricoles sont persistantes parmi de nombreux élus influents aux États-Unis.

«Les Canadiens doivent s'attendre à des pressions croissantes de la part de leurs principaux vis-à-vis en commerce international, qui voient ces mesures protectionnistes en agriculture comme des anachronismes», a indiqué Christopher Sands.

«À mon avis, le milieu agricole canadien pourrait prévenir les chocs éventuels en amorçant des réformes de ces mesures tout en rehaussant sa compétitivité sur les marchés internationaux.»

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LE PARTENARIAT TRANSPACIFIQUE EN BREF

12 pays participants : Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Viêtnam.

Découle d'un premier accord régional en Asie en 2006. Le Canada a été admis à négocier en 2012.

Ces 12 pays forment un marché de 792 millions de personnes et affichent un PIB combiné de 28 100 milliards de dollars, soit 38 % environ de l'économie mondiale.

Le PIB par habitant moyen de ces 12 pays, autour de 35 000 $US, est élevé en comparaison mondiale.

Ces pays comptent pour 81 % des exportations du Canada.

L'investissement direct du Canada dans ces pays avoisine les 355 milliards, alors que l'inverse (investissements de ces pays au Canada) se chiffre autour de 350 milliards.

Source : ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international

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LES GRANDES PRODUCTIONS AGRICOLES EN GESTION DE L'OFFRE AU QUÉBEC

OEUFS

110 fermes qui gèrent 4 millions de poules pondeuses

Environ 1,3 milliard d'oeufs produits par an

Valeur de production aux producteurs : 155 millions par an

Principaux usages : 96 millions de douzaines d'oeufs d'alimentation + 200 millions d'oeufs d'incubation pour les éleveurs de volaille

LAIT

5900 fermes qui gèrent 355 000 vaches laitières

Environ 2,9 milliards de litres produits par an

Valeur de production aux fermes : 2,2 milliards par an

Principaux produits : lait de consommation (660 millions de litres), yogourts (248 800 tonnes), fromages (184 700 tonnes), beurre (37 000 tonnes)

VOLAILLE

758 éleveurs de poulets et 136 éleveurs de dindons

Valeur de production aux éleveurs : 710 millions par an

Volumes produits : 280 800 tonnes de poulets, 32 300 tonnes de dindons

Sources : Institut de la statistique du Québec, ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ), Union des producteurs agricoles (UPA)