Alors que le déficit accumulé du programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) s'élève désormais à 403 millions, Québec met sur pied un comité visant à réviser les programmes de sécurité du revenu destinés aux producteurs agricoles.

Se penchera-t-il sur l'aide financière accordée aux intégrateurs ? « Rien n'est exclu », répond Maxime Couture, attaché de presse du ministre de l'Agriculture. Le rapport du comité est attendu à la fin de l'hiver.

Pour Jean Garon, ministre de l'Agriculture de 1976 à 1985, la cause est entendue : les intégrateurs, privés comme coopératifs, ne devraient pas être couverts par l'ASRA. « Ç'a été conçu pour la ferme familiale, pas pour les intégrateurs, tranche-t-il. Ça n'a pas de bon sens que le gouvernement prenne des risques financiers à la place d'entreprises multimillionnaires. C'est un scandale ! »

Millions en jeu

Les sommes en jeu sont énormes. En 2011, une compensation de 194,59 $ a été versée pour chaque veau de lait abattu. Comme Écolait en a commercialisé 72 000, cela veut dire que cet intégrateur - et ses éleveurs - a touché des chèques d'ASRA d'une valeur totale de 14 millions. Avec 50 000 veaux de lait produits, les éleveurs liés à l'autre intégrateur, Délimax, ont quant à eux reçu 9,7 millions du fonds d'assurance, payé aux deux tiers par l'État.

La Fédération des producteurs de bovins élude le débat. « La seule chose que nous réclamons, c'est que la sécurité du revenu soit maintenue, affirme Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, directeur général de la Fédération des producteurs de bovins (FPBQ). Pas pour les intégrateurs, mais pour les 190 fermes qui vivent de la production de veau de lait au Québec. » Or, plus de 90 % de ces fermes font affaire avec un intégrateur.

Faut-il aider davantage les producteurs indépendants, moins les intégrateurs ? Pas selon André Blais, directeur du développement et de la commercialisation de Délimax. « Il ne peut pas y avoir deux modèles, l'un pour les petits, l'autre pour les gros, tranche-t-il. Est-ce qu'on tient à ce que le programme d'ASRA reste ? Non, mais on tient à ce que ce soit équitable. Sinon, ça peut porter préjudice. »

Ristournes cachées et remises de dette

Les intégrateurs n'ont pas un passé sans tache. À l'automne 2006, la Financière agricole a été informée que certains producteurs « auraient intentionnellement caché l'existence de ristournes obtenues de la part de fournisseurs de poudre de lait ».

Ces ristournes offertes variaient de 1,60 à 2,65 $ par sac de 25 kg de substituts d'allaitement pour veau, selon un document confidentiel de la Financière. Ce stratagème servait à gonfler les coûts de production, ce qui augmentait indûment le déficit des éleveurs et... les compensations financières versées par l'État.

« Il y a eu une enquête policière » portant « sur les fraudes alléguées dans le milieu de la production de veau », a confirmé la sergente Joyce Kemp, porte-parole de la Sûreté du Québec. « Cependant, les résultats de l'enquête, après analyse juridique, n'ont pas permis d'établir les éléments constitutifs de l'infraction de la fraude », a-t-elle ajouté.

L'enquête a donc pris fin sans désigner de coupable. La Financière a tout de même sévi, en ajustant à la baisse le coût de production du veau de lait et en plafonnant le nombre de veaux assurables de 2007 à 2009.

Autre fait étonnant : une « large proportion » des éleveurs financés par un intégrateur « ont bénéficié de remises de dette de la part de leur fournisseur d'intrants pour diminuer les soldes à payer », révèle un rapport du Centre d'études sur les coûts de production en agriculture (CECPA) paru en 2010. Ces remises de dette n'étaient pas prévues aux contrats.

Des subventions dans plusieurs secteurs

« Je ne pense pas que Bombardier se soit développé sans l'aide du gouvernement, fait valoir M. Blais. Dans tous les secteurs, il y a des programmes d'aide. Si l'ASRA fonctionne différemment un jour, ça risque surtout d'éliminer les plus petits. Ceux qui sont déjà efficaces vont rester. »