Les pressions économiques auraient-elles raison de l’optimisme des jeunes ? Statistique Canada dévoile une enquête qui n’est pas très joyeuse : le « degré de satisfaction face à la vie » est en chute dans le groupe de Canadiens âgés de 15 à 29 ans, qui ne voient plus trop comment ils pourraient un jour avoir une maison à eux. Ou même payer leur loyer… Explications.

Accès à la propriété

L’année dernière, le tiers (32 %) des jeunes de 15 à 29 ans ont souhaité déménager, que ce soit en achetant une maison ou en changeant de loyer. Mais ils ne l’ont pas fait pour des raisons budgétaires, révèle un nouvel article de Statistique Canada.

Les jeunes sont surtout locataires (63 % d’entre eux) et une importante partie de leur budget est consacrée au loyer. Dans le groupe des 15 à 24 ans, qui ne vivent pas avec un parent, c’est 23 % du revenu brut qui y était consacré. Pour l’ensemble de la population, la moyenne est plutôt de 16 %.

La pression est évidemment plus forte encore pour les urbains. Dans le marché de Toronto, par exemple, c’est plutôt 31 % de leurs revenus que les jeunes consacrent en moyenne à leur loyer.

Et ça les inquiète : selon des données tirées de l’Enquête sociale canadienne faite à la fin de l’année dernière, 60 % des jeunes sont inquiets face à cette situation et craignent ne pas être en mesure de payer leur loyer ou de pouvoir un jour s’acheter un toit.

Selon le professeur Jacques Hamel, au-delà de la déception de ne pas pouvoir accéder à la propriété, c’est une étape de leur vie qui est compromise.

« Avoir un logement, avoir un toit sur la tête et, surtout, vivre indépendamment des parents, c’est une étape absolument cruciale dans la jeunesse », dit le professeur du département de sociologie de l’Université de Montréal.

Vivre en colocation

Ne pouvant pas acheter de maison ou craignant ne pas être capables de payer leur loyer, de plus en plus de jeunes optent pour la colocation. Les sondeurs ont noté que c’est parmi les jeunes dans la vingtaine qu’il y a la plus forte croissance de la colocation au pays. On parle ici de vivre avec quelqu’un qui n’est pas de la famille.

Car, bien évidemment, c’est aussi les jeunes qui vivent le plus avec un parent : 43 % des Canadiens âgés de 20 à 29 ans vivaient avec (au moins) un parent en 2021.

On a aussi noté que c’était le groupe de la population qui avait le plus faible taux de satisfaction face à son logement.

La parentalité ? Non merci.

Le contexte économique a des répercussions sur l’ensemble de la vie.

Les analystes de Statistique Canada remarquent que, dans la vingtaine, on évoque de plus en plus des raisons économiques, et même plus précisément cette difficulté d’avoir accès à un logement qui convienne, pour justifier la décision de ne pas avoir d’enfants ni l’intention d’en avoir.

« En 2022, 38 % des jeunes adultes [âgés de 20 à 29 ans] ne pensaient pas avoir les moyens d’avoir un enfant au cours des trois années suivantes, tandis que 32 % ne pensaient pas avoir accès à un logement convenable pour fonder une famille au cours de cette période », estime Statistique Canada.

Seuls ensemble

Entre 2016 et 2022, l’optimisme a décliné de 15 % chez les jeunes. Cette information est tirée du Cadre de vie pour le Canada, où l’on a mesuré différents déterminants du bien-être, dont l’argent.

Par exemple, le sentiment d’appartenance, qui contribue au bien-être, est plus faible chez les jeunes contrairement au sentiment de solitude qui, lui, est plus élevé.

Ce pessimisme ne surprend pas le professeur Jacques Hamel, qui est à même de mesurer un niveau d’anxiété à la hausse chez ses étudiants.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le professeur du département de sociologie de l’Université de Montréal, Jacques Hamel

On savait que les jeunes étaient déjà inquiets, notamment avec les changements climatiques. Ce qui s’ajoute, c’est toute la question du logement. Et l’actualité contribue beaucoup à ramener ça sur le tapis.

Jacques Hamel, professeur au département de sociologie de l’Université de Montréal

De plus, poursuit Jacques Hamel, il est faux de penser que la pénurie de main-d’œuvre est un eldorado pour les jeunes. « C’est encore difficile pour les jeunes de s’insérer en emploi de manière définitive, sans que ça soit sous le signe de la précarité », dit-il.

Cela, poursuit le professeur, contribue à cette inquiétude. De plus, selon lui, une importante proportion des jeunes étudient en ayant peu d’espoir de trouver un emploi dans leur domaine. Ce qui vient aussi miner le moral.

Statistique Canada note une diminution constante du niveau de bien-être chez les jeunes, un phénomène tristement amorcé bien avant la pandémie. Plusieurs facteurs qui n’ont rien à voir avec l’économie sont cités pour expliquer la situation.

Et l’avenir n’annonce pas nécessairement d’éclaircie.

« Les difficultés avec lesquelles les jeunes sont aux prises ne disparaissent pas une fois qu’ils ont atteint l’âge de 30 ans, lit-on dans le document de Statistique Canada. Au contraire, elles persistent et peuvent nuire de façon permanente à leur accès, à l’âge adulte, au niveau de vie auquel ils s’attendaient peut-être alors qu’ils grandissaient. »

En savoir plus
  • 11 %
    Au début de la pandémie, au printemps 2020, le pays a enregistré son plus haut taux de jeunes qui n’étaient pas aux études ou en formation et qui n’avaient pas d’emploi – avec le quart des jeunes qui étaient dans cette situation. La bonne nouvelle : la situation est redevenue comparable à ce qu’elle était avant la pandémie. En 2022, c’était 11 % des jeunes qui ne travaillaient ni n’étudiaient.
    Source : Statistique Canada
    19 %
    Proportion de la population du pays composée de jeunes de 15 à 29 ans
    Source : Statistique Canada