Alors que le taux de chômage au Canada se maintient à un niveau historiquement bas, des experts estiment que l’intérêt accru pour les syndicats parmi les travailleurs du commerce de détail et des services, qui s’est manifesté lors de la pandémie de COVID-19, se poursuivra, même si cela se traduit souvent par de difficiles batailles contre de grands et puissants employeurs.

La pandémie a été un catalyseur pour de nombreux travailleurs de première ligne qui, selon les organisateurs syndicaux, ont été incités à se battre pour de meilleurs salaires et conditions de travail dans des secteurs où la syndicalisation est peu courante.

« Si l’on considère le paysage général de l’évolution du secteur de la vente au détail et des services au cours des dernières années, on constate que la période a été extrêmement difficile pour les travailleurs », a souligné Kim Novak, présidente de la section locale 1518 du syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, auprès de qui un magasin Sephora s’est syndiqué l’année dernière.

Depuis 2020, des campagnes de syndicalisation ont eu lieu chez de grands détaillants, notamment Starbucks, Cineplex, Indigo, Sephora et PetSmart. Vendredi dernier, les travailleurs d’un Starbucks d’Edmonton ont voté en faveur de la syndicalisation avec le syndicat des Métallos, rejoignant ainsi leurs homologues de plusieurs municipalités de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Lorsqu’il n’y a pas autant de travailleurs potentiels sur le carreau, les entreprises ont moins de choix en matière d’embauche. Selon Nicole Denier, professeur agrégé de sociologie à l’Université de l’Alberta qui étudie le travail et les marchés de l’emploi en Amérique du Nord, cette situation est favorable aux efforts de syndicalisation, car elle place les travailleurs dans une meilleure position de négociation.

Les travailleurs craignent moins d’être licenciés pour activité syndicale, car ils peuvent trouver un autre emploi relativement rapidement, a observé l’économiste et expert en droit du travail Jim Stanford, dans un courriel.

« Une fois qu’ils ont formé un syndicat et entamé des négociations collectives, un taux de chômage plus faible leur donne un peu plus de pouvoir de négociation », a-t-il ajouté.

Toutefois, M. Stanford estime que les employeurs sont toujours en position de force.

« Ce serait prendre ses désirs pour des réalités que d’imaginer qu’un marché de l’emploi relativement tendu puisse à lui seul provoquer un changement radical dans les tendances de syndicalisation », a-t-il affirmé.

Les organisateurs syndicaux, dont Mme Novak, affirment que les travailleurs s’intéressent de plus en plus à des secteurs qui, pendant des décennies, ont connu un faible taux de syndicalisation, notamment le commerce de détail, la restauration et l’entreposage. Scott Lunny, directeur des Métallos pour l’Ouest canadien, a noté qu’il y avait eu plus de demandes de syndicalisation en 2022 qu’en 2021 en Colombie-Britannique.

Mais l’augmentation de l’intérêt pour le syndicat décrite par les organisateurs ne se reflète pas dans les données de Statistique Canada. Seulement 12,47 % des travailleurs du commerce de détail étaient syndiqués en février 2023, soit à peine plus que cinq ans plus tôt.

Encore moins de travailleurs sont syndiqués dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, soit moins de 6 %, ce qui est encore une fois presque identique à leur proportion cinq ans plus tôt.

M. Stanford a expliqué dans une entrevue qu’il fallait parfois du temps pour que les nouvelles campagnes syndicales apparaissent dans les chiffres de Statistique Canada, puisque les données sur les lieux de travail syndiqués s’appuient généralement sur les conventions collectives, qui peuvent mettre beaucoup de temps à être consolidées après une campagne syndicale réussie.

Ce décalage donne également aux entreprises le temps d’essayer d’affaiblir le soutien des syndicats, a spécifié M. Stanford.

Les travailleurs des grandes chaînes désavantagés

Mais ce n’est pas le seul obstacle auquel les travailleurs sont confrontés, a-t-il ajouté.

À l’heure actuelle, les établissements syndiqués des chaînes de magasins sont en minorité par rapport à leurs homologues non syndiqués. Par exemple, Starbucks comptait près de 950 magasins exploités par la société au Canada au 2 octobre 2022, tandis qu’Indigo en comptait 173 au 2 avril 2022.

Étant donné que la syndicalisation concerne normalement un seul lieu de travail physique à la fois, les employés des chaînes sont désavantagés, a fait valoir M. Lunny, bien que certains magasins aient été en mesure de négocier en tant qu’unité avec d’autres magasins situés dans la même zone géographique.

Selon M. Stanford, un changement qui ferait une grande différence serait que les travailleurs puissent négocier au sein de groupes plus importants, à l’instar des travailleurs de la construction, qui sont syndiqués par métier et par zone géographique plutôt que par lieu de travail individuel.

Certains changements sont déjà en cours. Par exemple, l’année dernière, en Colombie-Britannique, une procédure de certification en une seule étape a été mise en place. Elle facilite et accélère la syndicalisation des entreprises et, dans son rapport annuel, le B. C. Labour Board attribue à ce changement une augmentation des demandes de certification. En février, un quatrième magasin Starbucks en Colombie-Britannique s’est joint au syndicat des Métallos dans le cadre de ce nouveau processus.

Mme Novak pense que les travailleurs ont acquis suffisamment d’élan pour faire changer les choses à long terme.

« C’est la lente marche de la mobilisation des travailleurs, a-t-elle déclaré. Cela commence par des campagnes qui ne font pas nécessairement la différence dans les pourcentages nationaux de syndicalisation. »

Elle se dit convaincue qu’à mesure que de plus en plus de lieux de travail se syndiqueront et que les travailleurs de tout le pays suivront de près l’évolution des conventions collectives, « nous verrons ces pourcentages commencer à augmenter ».

Entre-temps, une seule convention collective pourrait profiter aux travailleurs de tout le pays.

C’est ce qui s’est passé avec le seul magasin Sephora syndiqué en Amérique du Nord, à Kamloops, en Colombie-Britannique, où les travailleurs ont obtenu dans leur convention collective une politique que le détaillant a adoptée à l’échelle nationale.

M. Lunny estime que la manière dont les travailleurs perçoivent leur propre valeur a évolué. « Ils entendent beaucoup de discours et ne voient pas beaucoup d’actions », a-t-il conclu.