S’estimant en mauvaise santé économique, 11 % des fermes québécoises songent à mettre la clé sous la porte au cours des 12 prochains mois afin de répondre à leurs obligations financières.

C’est ce que révèle un sondage mené par l’Union des producteurs agricoles (UPA) auprès de ses membres et dont les résultats ont été dévoilés mercredi. Le coup de sonde a été mené par le syndicat agricole auprès de 3675 des 28 315 entreprises agricoles de la province.

« L’horizon s’assombrit pour un nombre grandissant de fermes québécoises », a déclaré Martin Caron, président de l’UPA, lors d’une conférence de presse à Longueuil.

Inflation, hausse rapide des taux d’intérêt, explosion du prix des engrais et augmentation des prix des carburants : ce sont les entreprises en démarrage et les fermes d’élevage situées en région éloignée qui sont les plus touchées par le contexte économique difficile, dit-il.

« L’impact des augmentations est sans équivoque. Au cours de l’année, 65 % des entreprises prévoient réduire ou reporter leurs investissements, 14 % envisagent la diminution de la taille de leur entreprise et 11 % prévoient arrêter ou fermer leur entreprise », a déploré M. Caron, qui est également producteur laitier.

Martin Caron souligne que l’augmentation moyenne des coûts de production à la ferme est largement supérieure à l’inflation.

Par conséquent, 15 % des entreprises agricoles s’estiment en « mauvaise » situation financière et 4 % en « très mauvaise » posture. Par ailleurs, 46 % des fermes pensent que la situation risque de se détériorer au cours des 12 prochains mois.

Encore plus difficile pour la relève

La santé financière des entreprises agricoles de la relève est encore plus précaire. Les agriculteurs âgés de moins de 40 ans affirment dans une proportion de 19 % que leur entreprise est en « mauvaise » situation financière et 5 % la disent en « très mauvaise » situation financière.

« Ça fait plusieurs années qu’on sonne l’alarme sur l’augmentation de tout : les terres, les actifs, les intrants, la machinerie, et j’en passe. Pendant ce temps-là, les programmes ne prennent plus en compte la réalité des relèves. À ça s’ajoutent l’augmentation des taux d’intérêt et celle des coûts de production. Tout cela cumulé ensemble, c’est une vraie bombe à retardement », a déclaré Julie Bissonnette, la présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Julie Bissonnette, présidente de la Fédération de la relève agricole et productrice laitière

Les chiffres sont certes inquiétants, mais ils représentent ce que l’on voit sur le terrain. En cinq ans à titre de présidente de la Fédération, je n’ai jamais entendu autant de jeunes remettre en question leur avenir en agriculture.

Julie Bissonnette, présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec

En 2021, souligne-t-elle, 44 % des agriculteurs de la relève avaient un autre emploi à l’extérieur de la ferme, une proportion qui monte à 60 % pour les entreprises en démarrage. « C’est un fait qui m’inquiète beaucoup. »

« Il y a une limite à la passion. La passion, ça ne paie pas les comptes à la fin du mois. »

Les agriculteurs situés en région éloignée subissent aussi davantage les effets du contexte économique difficile. « Avec la hausse rapide du coût du diesel, chaque transport qui rentre ou sort de ma région coûte entre 500 $ et 600 $ supplémentaires », a expliqué Pascal Rheault, producteur de grains et président de l’UPA Abitibi-Témiscamingue.

« Les régions périphériques, on est le canari dans la mine de l’agriculture, et actuellement, le canari est en train de plier les pattes. Ça va prendre une bouffée d’air pur pour pouvoir continuer à faire ce qu’on fait bien : produire et nourrir la population », a-t-il illustré.

Les demandes de l’UPA

L’UPA demande au gouvernement du Québec de mettre en place, pour les entreprises en grande difficulté financière, une mesure de type « compte d’urgence » ou un programme d’aide financière qui permettrait une recapitalisation de leur fonds de roulement.

Ils demandent aussi à la Financière agricole du Québec de bonifier son programme de protection contre la hausse des taux d’intérêt pour toutes les entreprises de la relève.

L’UPA veut aussi que le prix du diesel coloré payé par les entreprises agricoles soit inférieur d’au moins 20,2 cents au prix du diesel clair afin de refléter l’écart de taxes entre ces deux catégories de diesel.

« Aveuglement volontaire »

Le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’agriculture, des pêcheries et d’alimentation, le libéral André Fortin, a qualifié la situation d’« alarmante ».

« Les résultats du sondage de l’UPA sont épouvantablement inquiétants. C’est un véritable coup de masse en plein front pour notre agriculture et des PME qui en dépendent », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Est-ce que le ministre de l’Agriculture entend le cri du cœur de nos agriculteurs ? Ça ne semble pas être le cas. Chaque fois qu’on l’interpelle sur le sujet, il prétend que tout va bien et que le secteur agricole reçoit toute l’aide nécessaire du gouvernement de la CAQ. On appelle ça de l’aveuglement volontaire.

André Fortin, député libéral de Pontiac

L’UPA a présenté le 4 avril les résultats du sondage au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. « Je suis très sensible à la situation que vivent nos agriculteurs », a indiqué le ministre André Lamontagne dans une déclaration écrite qu’il nous a fait parvenir.

« Au Québec, la majorité de notre agriculture est couverte par des programmes de soutien de revenus qui captent la hausse des coûts de production. Ce qu’on observe dans les derniers mois, c’est la vitesse de certaines augmentations. Il y a eu des sommes dans le dernier budget. J’ai demandé aux équipes du Ministère et à la Financière agricole qu’on regarde la situation de près, avec une sensibilité particulière pour la relève agricole. Notre objectif, c’est d’avoir les meilleurs outils et toute la flexibilité pour nos entreprises dans le contexte actuel », a-t-il indiqué.

En savoir plus
  • 41 %
    Quatre entreprises sur dix indiquent que la hausse des taux d’intérêt pourrait les empêcher de s’acquitter de leurs obligations financières
    Sondage de l’UPA
    18 %
    18 % des entreprises agricoles songent à demander un congé de capital à leur institution financière
    Sondage de l’UPA