C’est une guerre plus discrète que celle qui se déroule sur le territoire ukrainien, mais qui a elle aussi un impact mondial. Les grandes manœuvres ont commencé pour trouver une solution à la pénurie de semiconducteurs et réduire la dépendance des économies occidentales envers la Chine et Taiwan.

La tension qui augmente entre la Chine et Taiwan, premier producteur mondial de semiconducteurs, menace la sécurité des approvisionnements pour ce minuscule et indispensable bout de silicium. Des voitures aux appareils ménagers jusqu’aux équipements médicaux et à l’armement, aucune industrie ne peut s’en passer.

Depuis la pandémie qui a exacerbé le déficit dans l’offre de semiconducteurs et causé des pénuries, la dépendance de l’économie mondiale envers une petite poignée de producteurs est devenue une préoccupation croissante. Les récentes passes d’armes diplomatiques entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taiwan ont encore fait grimper le dossier dans l’échelle des priorités des gouvernements.

Si la Chine envahit le territoire taïwanais, qu’elle considère comme sa propriété, c’est 60 % de tous les semiconducteurs produits dans le monde et 90 % des plus avancés qui sont à risque.

Une coalition internationale informelle, menée par les États-Unis, s’organise pour augmenter la production de semiconducteurs partout ailleurs dans le monde. Et les milliards pleuvent de toutes parts.

Les États-Unis, qui ont abandonné au fil du temps la fabrication de puces électroniques à des sous-traitants asiatiques, ont décidé de regagner le terrain perdu. Avec la loi CHIPS (pour Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors for America), récemment adoptée par l’administration de Joe Biden, le pays veut reconquérir le terrain perdu.

Une somme astronomique de 52 milliards de dollars américains sera consacrée à ramener la production de semiconducteurs sur le sol américain, sous forme de subventions à la recherche et d’aide directe aux entreprises. Le Mexique a été officiellement invité par les États-Unis à participer à l’effort de guerre.

Intel a déjà répondu à l’appel du gouvernement américain. La construction d’installations de fabrication de semiconducteurs a commencé dans l’État de l’Ohio, un investissement estimé à 20 milliards US. D’autres entreprises ont des projets similaires, y compris celle qui domine le marché mondial, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), qui veut construire une usine de 12 milliards US en Arizona.

Une frénésie mondiale

La même frénésie s’est emparée de l’Europe, qui a mis sur pied son propre programme d’investissement pour augmenter la production de semiconducteurs sur son territoire. Il prévoit l’injection de 43 milliards d’euros pour quadrupler la production actuelle d’ici 2030 et doubler le poids de l’Europe dans le marché mondial des puces.

Les pays membres de l’Union européenne ont leurs propres plans pour attirer les grands acteurs de l’industrie et augmenter leur production intérieure. La France vient d’annoncer un investissement historique de 5,7 milliards d’euros dans une usine de puces qui sera exploitée par un consortium européen-américain. L’Allemagne accueillera un investissement de 20 milliards d’euros d’Intel.

Le Japon et la Corée du Sud sont aussi dans la course, avec des investissements publics massifs pour augmenter leur part du marché des semiconducteurs.

De son côté, la Chine a son propre plan pour augmenter sa production et sa part du marché des semiconducteurs de nouvelle génération. Les efforts concertés des pays qui veulent pouvoir se débrouiller seuls dans un secteur aussi névralgique irritent au plus haut point les dirigeants chinois.

La Chine s’est plainte publiquement du programme CHIPS des États-Unis, qui, selon son ministre du Commerce, est discriminatoire et contraire aux règles du commerce international. Une contestation de la Chine devant l’Organisation mondiale du commerce n’est pas exclue. Ça serait bien le monde à l’envers : un pays à l’économie dirigée qui accuse les États-Unis d’agir à l’encontre des principes du libre marché…

Toutes ces initiatives ne pourront pas régler la pénurie de semiconducteurs du jour au lendemain. Dans le meilleur des cas, la nouvelle production arrivera sur le marché dans deux ou trois ans.

Il sera peut-être alors trop tard. À la Bourse, les titres des géants du secteur sont déjà sous pression. Avec les risques de récession qui augmentent, le monde pourrait bien se retrouver avec un surplus de semiconducteurs et des méga-usines encore en chantier.

En savoir plus
  • 556 milliards US
    Ventes totales de semiconducteurs en 2021
    source : Semiconductors Industry Association