Celsius Network connaissait déjà des ratés avant de recevoir environ 200 millions de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), révèlent des documents judiciaires récents. Cela s’ajoute à des témoignages récents d’ex-employés faisant état d’importantes défaillances internes au sein de la cryptobanque controversée.

L’entreprise s’est notamment retrouvée dans une situation plutôt délicate à l’été 2021. Un partenaire auprès duquel elle avait emprunté une forte somme d’argent à condition de fournir une garantie en cryptoactifs s’est soudainement déclaré incapable de lui redonner cette garantie.

Le résultat ? Celsius Network est devenue créancier non garanti du prêteur – dont le nom n’est pas dévoilé – à hauteur de plus d’un demi-milliard de dollars américains.

Cette information figure parmi les nombreux documents déposés auprès des tribunaux new-yorkais depuis que l’entreprise s’est placée sous la protection de la loi américaine sur les faillites, le 13 juillet dernier, à cause d’une crise des liquidités.

Pour l’avocat montréalais Adam Atlas, dont la firme offre des conseils sur les questions de cryptomonnaies au Canada ainsi qu’aux États-Unis, ce type d’écueil constitue une forme de « drapeau rouge » qui aurait pu alerter le gestionnaire de régimes de retraite et d’assurance publics et parapublics.

« C’est problématique à mon avis, dit-il, en entrevue avec La Presse. C’est comme si l’on voyait la fissure se former dans le marché de la cryptomonnaie avec un prêteur qui ne pouvait remettre ce qui avait été placé en garantie. »

À lui seul, cet évènement n’était pas suffisant pour inciter la CDPQ à changer son fusil d’épaule, mais il témoignait des risques de ce secteur, ajoute MAtlas.

Un peu plus de neuf mois après avoir présenté Celsius Network comme une société de « classe mondiale », le bas de laine des Québécois a reconnu le 20 juillet dernier que son investissement n’avait pas généré les « résultats escomptés ».

Il faudra toutefois s’armer de patience pour en savoir davantage. L’institution promet d’en dire plus, mais « au moment approprié », soit lorsque le processus judiciaire que traverse son partenaire sera plus avancé.

La Caisse assure que chaque transaction fait l’objet d’un « processus rigoureux » d’analyse. Dans le cas de Celsius Network, elle n’a pas encore précisé comment ses vérifications au préalable l’ont incitée à investir des millions dans une cryptobanque qui s’est effondrée à cause du plongeon des cryptomonnaies ces derniers mois.

Des problèmes multiples

Selon beaucoup d’ex-employés, les problèmes de Celsius Network ne sont pas récents. Plusieurs ont raconté à CNBC que la gestion était problématique depuis des années. L’ancien chef de la conformité Timothy Cradle a même témoigné à visage découvert en affirmant que la gestion du risque constituait le « plus gros problème » au sein de la cryptobanque.

« L’équipe de conformité était trop petite, a-t-il dit au réseau américain. Ils ne voulaient pas dépenser pour la conformité. »

La Presse a tenté, sans succès, de contacter M. Cradle et la CDPQ n’a pas commenté les affirmations de ce dernier.

M. Cradle a également raconté avoir été particulièrement troublé par des conversations pendant une fête de Noël en 2019. De hauts dirigeants de la société auraient affirmé avoir manipulé le cours de sa propre monnaie virtuelle (CEL) – l’outil utilisé par Celsius Network pour rémunérer les utilisateurs qui déposaient leurs cryptoactifs.

Il s’agit de la deuxième fois en quelques semaines que des allégations de la sorte font surface. Pas plus tard que le 7 juillet dernier, un ex-partenaire de la cryptobanque l’a accusée, dans une poursuite déposée aux États-Unis, de manipulation de cryptoactifs, une pratique illégale.

« C’est préoccupant », affirme Saidatou Dicko, professeure de sciences comptables à l’UQAM et spécialiste en gouvernance.

La question, c’est de savoir à quelles informations la CDPQ avait accès au moment d’investir. Est-ce qu’elle avait exigé le maximum d’informations ? Celsius a-t-elle caché des choses ?

Saidatou Dicko, professeure de sciences comptables à l’UQAM et spécialiste en gouvernance

M. Cradle a aussi estimé que les déposants n’avaient « probablement pas une connaissance approfondie » des nombreuses conditions d’utilisation. Lorsqu’un utilisateur dépose des fonds, ceux-ci appartiennent à la cryptobanque, selon sa politique. Selon M. Cradle, cela va à l’encontre des messages qui étaient véhiculés par Celsius Network.

L’investissement de la CDPQ dans Celsius Network

12 octobre 2021 La Caisse participe à un investissement de 400 millions US dans Celsius Network avec le fonds WestCap.

12 juin Plongée dans une crise des liquidités, Celsius Network gèle les retraits de ses clients.

7 juillet L’entreprise est poursuivie par un ex-partenaire. Celui-ci l’accuse d’avoir mis en place un stratagème de Ponzi et d’avoir manipulé des cryptoactifs.

13 juillet Celsius Network se place sous la protection de la loi américaine des faillites.

En savoir plus
  • 1,9 milliard US
    Il s’agit du trou dans les finances de Celsius Network au moment de déposer son bilan, le 13 juillet dernier.
    Source : Celsius Network