(Paris) La BCE a rejoint cette semaine la course au relèvement des taux dans laquelle beaucoup d’autres banques centrales dans le monde sont déjà engagées, avec une hausse de 0,5 point, inédite depuis 11 ans et plus forte que prévu. Pourquoi ce mouvement quasi généralisé ?

Pourquoi une accélération des relèvements de taux ?

À cause d’une inflation qui s’emballe : +8,6 % en zone euro en juin, +9,4 % au Royaume-Uni, +9,1 % aux États-Unis, et parfois même à deux chiffres dans des pays émergents comme au Brésil. Selon le Fonds monétaire international (FMI), 75 % des banques centrales suivies ont remonté leur taux ces 12 derniers mois.

La décision de la BCE jeudi tient encore plutôt du symbole, puisqu’elle a tout juste refermé la page des taux négatifs. La Réserve fédérale américaine (Fed) a, elle, déjà révisé trois fois ses taux à la hausse depuis janvier, passant d’une fourchette de 0 à 0,25 % à une fourchette de 1,50 % à 1,75 %. La Banque d’Angleterre a enchaîné cinq hausses depuis mi-décembre, pour passer de 0 % à 1,25 %.

« Il y a une sorte de panique liée à l’augmentation de l’inflation », souligne Gregory Claeys, économiste à l’institut bruxellois Bruegel.  

« Elles doivent agir vite et être vues en train de prendre des mesures pour éviter que les anticipations d’inflation ne s’enracinent, c’est-à-dire que les gens s’attendent à encore plus d’inflation » entraînant une flambée des prix et des salaires, ajoute Paola Subacchi, professeure d’économie internationale à l’Université Queen Mary de Londres.  

La Banque du Japon fait cependant bande à part avec des taux toujours proches de zéro, voire négatifs face à une inflation à « seulement » 2,3 %, proche de ses objectifs. Une décision critiquée dans un pays plus habitué à une stagnation des prix depuis la fin des années 1990.

Complètement à rebours des autres, la banque centrale russe a, elle, fortement abaissé son taux directeur, à 8 % vendredi — mais elle l’avait nettement augmenté à 20 % lors des premières sanctions économiques occidentales suivant l’invasion en Ukraine.

Quels sont les effets attendus ?

Les hausses de taux visent à freiner une surchauffe de l’économie en restreignant l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises.

Pour l’Europe, cette politique met « en moyenne 18 mois selon les modèles », affirme Gregory Claeys. Efficace pour ralentir la demande, elle l’est beaucoup moins contre les chocs externes (énergie, alimentation) qui aggravent actuellement l’inflation sur le continent, prévient-il.

Là est la limite de la politique monétaire et la raison pour laquelle les grandes organisations internationales telles que le FMI et l’OCDE appellent parallèlement les États à apporter une aide temporaire et ciblée aux populations frappées par la hausse des prix.

Les banques centrales ont-elles trop attendu ?

Les principales banques centrales ont longtemps affirmé que l’inflation était conjoncturelle, liée à la forte reprise de l’économie après la pandémie. Mais l’attente a augmenté le risque d’une inflation durable, notamment en enclenchant la tant redoutée boucle prix-salaires.

« La BCE a sans doute attendu plus que les autres en raison de sa volonté de mettre en place son outil de lutte contre la fragmentation », visant à protéger les pays les plus fragiles de la zone euro contre des attaques spéculatives, justifie Martin Wolburg, économiste à Generali Investment.

L’absence de réponse coordonnée est aussi liée à des paramètres propres à chaque zone : le Royaume-Uni aux prises avec les effets du Brexit, les États-Unis confrontés à une véritable pénurie d’emploi, et la zone euro où « la caractérisation de l’inflation est moins inquiétante qu’aux États-Unis », car liée à un choc d’offre, estime Amaury Goguel, professeur associé à l’école de commerce Skema à Lille.

Y a-t-il un risque de récession ?

En relevant trop les taux, les banques centrales prennent aussi le risque de trop ralentir l’économie, jusqu’à la conduire à la récession.

Si elle anticipe des perspectives économiques « assombries » pour l’UE, la BCE pense éviter la récession en 2022 et 2023. Trop optimiste selon M. Wolburg, pour qui la zone euro sera « au bord de la récession au second semestre ».  

Un risque accru si les États-Unis y plongent, entraînant l’économie mondiale dans leur sillage. Toutefois, « les indicateurs n’y sont pas pour l’instant catastrophiques », insiste Amaury Goguel, « la production, la consommation et le marché de l’emploi restent positifs même si ce dernier reste très tendu. Mais si la récession se produit, l’effet d’entraînement serait réel ».

L’attentisme de la BCE a cependant aussi amené l’euro à la parité face au dollar, ce qui améliore la compétitivité des entreprises exportatrices.