Vous n’avez pas la berlue, l’essence n’est plus systématiquement plus chère dans l’île de Montréal qu’ailleurs depuis quelques mois.

Une tendance semble s’implanter, selon une compilation effectuée par La Presse à partir des données hebdomadaires de la Régie de l’énergie du Québec. « Votre constat correspond également aux observations de CAA-Québec, note la porte-parole Annie-Pier Dubois par courriel. Depuis quelques mois, le prix affiché à la pompe à Montréal est moins élevé que la moyenne québécoise. »

Depuis janvier 2019, on payait en moyenne 3,3 ¢ de plus à Montréal que dans l’ensemble du Québec, soit 132,1 ¢ plutôt que 128,9 ¢ [NDLR : les données sont arrondies]. Cette moyenne calculée sur l’ensemble de cette période cache cependant de grandes variations hebdomadaires.

Avant le printemps 2022, il était arrivé à six reprises en trois ans que le prix moyen hebdomadaire de l’essence à Montréal descende sous la moyenne québécoise. Depuis avril dernier, en moins de trois mois, cette bonne surprise est survenue à sept reprises.

Une surtaxe unique

Le fait est d’autant plus étonnant qu’on paie, dans la grande région de Montréal, une taxe spéciale sur l’essence depuis 1996. Initialement établie à 1,5 ¢ le litre, elle avait été doublée à 3 ¢ le litre en 2010 pour financer l’Agence métropolitaine de transport, devenue l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) en 2017.

Cette surtaxe de 3 ¢ pour les 83 municipalités du territoire de l’ARTM, à laquelle s’ajoutent les taxes à la consommation, expliquerait l’écart historique moyen entre les prix de la région métropolitaine et ceux du reste du Québec.

Il ne faut pas oublier ce fait. À l’inverse, il y a au Québec des rabais de taxes de 4,65 cents pour des régions comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean ou l’Abitibi-Témiscamingue.

Sonia Marcotte, PDG de l’Association des distributeurs d’énergie du Québec (ADEQ)

L’île de Montréal n’est pas le territoire au Québec où l’essence est la plus chère. Selon la moyenne établie depuis 2019, c’est dans le Nord-du-Québec et dans la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine qu’on doit payer le plus. À l’autre bout du spectre, c’est au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Outaouais que le prix du litre est le plus bas.

Selon Annie-Pier Dubois, du CAA-Québec, la taxe de 3 ¢ sur l’essence n’explique pas tout, notamment l’écart entre Montréal et ses 82 voisines au sein de l’ARTM, de Contrecœur à Saint-Lazare et de Saint-Jérôme à Carignan.

« Avant les derniers mois, les stations-service de la région de Montréal prélevaient une marge au détail plus élevée que dans plusieurs autres régions du Québec, ce qui faisait en sorte que le prix affiché à la pompe était supérieur », affirme-t-elle. Selon CAA-Québec, le prix « réaliste » à la pompe à Montréal devrait être encore plus bas, à 192,7 ¢ plutôt qu’à 202,0 ¢, comme on le relevait vendredi.

Turbulences et ajustements

Cette explication est toutefois contredite par l’ADEQ, où on a comparé depuis 2019 les marges de profit des détaillants dans les trois grandes villes canadiennes. Cette marge était de 5,5 ¢ à Montréal en 2019, de 8 ¢ à Toronto et de 11,6 ¢ à Vancouver. Pour les six premiers mois de l’année 2022, l’écart s’est resserré, mais les détaillants montréalais avaient toujours la plus petite marge de profit, à 7 ¢, comparativement à 7,8 ¢ à Toronto et à 8,1 ¢ à Vancouver.

« On voit que Montréal a une marge qui est plus mince que dans les autres grandes villes, dit Mme Marcotte. Il y a de la concurrence à Montréal comme partout. »

Comment expliquer que le prix moyen de l’essence à Montréal passe sous la moyenne québécoise ? Pour les trois experts interrogés, il s’agit d’abord d’un impact des turbulences qui agitent le marché mondial du pétrole depuis l’invasion de l’Ukraine.

De façon générale, en période de forte hausse comme les quatre derniers mois, les marchés peinent à suivre la tendance. Résultat, les écarts historiques ne tiennent plus la route.

Carol Montreuil, vice-président de l’Association canadienne des carburants

C’est surtout la variation des prix à la raffinerie qui chamboule le marché et qui se reflète sur le prix à la pompe, analyse quant à elle Mme Marcotte. « Je n’ai jamais vu ça, c’est à coups de 2 ou 3 ¢ de variation quotidienne. »

Comme les détaillants et les enseignes vendent de plus grandes quantités d’essence dans la métropole que dans de plus petits marchés, elle croit que les ajustements se font plus rapidement.

« À Montréal, le marché est plus gros, il y a plus de population, il y a un roulement des stocks plus rapide que dans les autres régions. Les réactions sur les prix sont plus rapides. »