(Moscou) La Russie est à un cheveu du défaut de paiement alors qu’elle dit vouloir honorer ses obligations financières. Les États-Unis ayant décidé de mettre fin dès aujourd’hui à une exemption lui permettant de payer ses dettes en dollars, Moscou remboursera sa dette en roubles, a indiqué mercredi le ministère russe des Finances.

« Étant donné que le refus de prolonger cette licence rend impossible de continuer à honorer la dette extérieure en dollars, les remboursements se feront en devise russe avec la possibilité de les convertir ensuite en devise originale via le National Settlement Depository (NSD) qui servira d’agent payeur », affirme le ministère dans un communiqué.

Le NSD est un organisme russe centralisé chargé du dépôt des titres financiers échangés dans le pays.  

« Le ministère russe des Finances, en tant qu’emprunteur responsable, assure de sa volonté de continuer à honorer et rembourser toutes ses obligations financières », souligne le communiqué.

« La situation actuelle n’a rien de commun avec la situation de 1998, quand la Russie n’avait pas assez de fonds pour rembourser ses dettes », a déclaré le ministre des Finances Anton Silouanov, cité dans le communiqué. « Aujourd’hui nous avons l’argent, et la volonté de payer est là aussi ».

« Cette situation créée artificiellement par un pays inamical n’aura pas d’effet sur la vie des Russes », a-t-il assuré.

Mardi, le Trésor américain a annoncé avoir décidé de mettre fin à partir de 0 h 01 mercredi, heure de Washington, à une exemption permettant à Moscou de payer ses dettes en dollars.

En place depuis le début des sanctions occidentales contre la Russie, en représailles à la guerre en Ukraine, cette exemption avait permis à Moscou d’échapper au défaut de paiement.

Elle avait été décidée par Washington pour « permettre une transition ordonnée et aux investisseurs de vendre leurs titres », avait expliqué la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen la semaine dernière.

Yellen avait alors indiqué que cette exemption prendrait « probablement » fin.

Moscou confrontée à des « difficultés de paiements »

La mesure de Washington prend effet deux jours avant la prochaine échéance de paiement pour Moscou, qui porte sur un peu plus de 100 millions de dollars d’intérêts sur deux obligations.

Selon le Wall Street Journal citant l’agence de presse russe officielle Tass, les autorités se seraient toutefois déjà acquittées du paiement de ces intérêts.

Outre l’échéance du 27 mai, le gouvernement russe doit encore honorer 12 paiements d’ici la fin de l’année.

La Russie ne pouvait déjà plus rembourser sa dette avec des dollars détenus dans des banques américaines, dans le cadre des sanctions renforcées prises par les États-Unis le 5 avril.

La gouverneure de la banque centrale russe, Elvira Nabioullina, avait reconnu le 29 avril que Moscou était confrontée à des « difficultés de paiements », mais elle s’était refusée à parler de défaut de paiement potentiel.

La dette extérieure de la Russie représente, selon son ministère des Finances, environ 4500 à 4700 milliards de roubles (quelque 78 à 81 milliards de dollars au taux actuel), soit 20 % de la dette publique totale.

Que signifie le défaut de paiement d’un État ?

Un pays est considéré en défaut de paiement quand il n’honore pas ses engagements financiers auprès de ses créanciers, qui peuvent être des États, des institutions financières (Fonds monétaire international, Banque mondiale, etc.) ou des investisseurs sur les marchés financiers. Le défaut est qualifié de partiel quand l’État ne rembourse pas une partie de ses obligations.

L’annonce peut aussi provenir d’une agence de notation après un délai de grâce de 30 jours, mais concernant la Russie, les trois principales agences ont abandonné l’évaluation de la dette de l’État et des entreprises du pays pour se conformer aux sanctions européennes.

Le défaut peut encore être officialisé par un créancier privé révélant publiquement qu’un pays a cessé de le rembourser, ou encore via l’agence américaine ISDA (International Swaps and Derivatives Association), qui régit les CDS, une sorte d’assurance contre le défaut de paiement.

La seule porte de sortie serait que « l’Union européenne ou le Royaume-Uni autorisent les paiements russes en euro ou en livre sterling », une hypothèse très peu probable selon l’enseignant-chercheur.

Outre les premiers 71 millions de dollars, un second paiement de 26,5 millions d’euros est attendu par les investisseurs vendredi, avec cette fois la possibilité de payer en roubles selon Slim Souissi.

Trois autres paiements d’intérêts, pour un peu moins de 400 millions de dollars doivent également être honorés fin juin, selon des données compilées par l’agence Bloomberg, dont certains doivent être remboursés uniquement en devise américaine.

En quoi la situation est atypique ?

La Russie est à un cheveu du défaut de paiement alors même qu’elle dit vouloir honorer ses obligations financières.

Ce sont les sanctions qui vise à bloquer l’économie et le système financier russe qui empêchent la Russie de payer ses créanciers, une première, selon M. Souissi.

« Il n’y a pas d’exemples de pays qui ont fait défaut en raison de sanctions. En 2014, l’Argentine avait refusé de payer » des fonds vautours en ayant les moyens financiers, « mais c’était en contestation d’une décision de justice », illustre Tim Samples, professeur de droit à l’Université de Géorgie aux États-Unis.

Le gérant de portefeuilles chez Sanso IS Cyriaque Dailland, estime que les États-Unis « poussent les Russes au défaut ».

Le ministre russe des Finances a lui promis d’aller en justice si le pays est déclaré en défaut de paiement, afin de présenter les preuves de ses efforts pour rembourser les investisseurs.

Si la Russie s’inquiète autant, c’est qu’un défaut de paiement réduirait considérablement sa capacité à emprunter dans le futur, même si dans les faits, elle ne peut déjà plus lever de fonds à cause des sanctions occidentales.