(Ottawa) Justin Trudeau n’a donné aucune indication, mercredi, sur les intentions de son gouvernement d’abandonner les mesures de relance économique en temps de pandémie, alors que le directeur parlementaire du budget remet en question l’approche libérale qui consiste à dépenser encore des dizaines de milliards de dollars.

Les libéraux avaient promis jusqu’à 100 milliards de mesures de relance pandémique, sous réserve d’une série de « garde-fous budgétaires » — des indicateurs largement liés au marché de l’emploi. Le gouvernement fédéral a mis en place ces garde-fous pour déterminer à quel moment l’État devrait mettre un terme à ses mesures de stimulation de l’activité économique.

Or, un rapport du directeur parlementaire du budget (DPB), publié mercredi, suggère que ces indicateurs ont maintenant été atteints et que toutes les mesures de relance devraient donc être supprimées par Ottawa avant la fin de l’exercice, en mars.

Le bureau d’Yves Giroux estime qu’à moins que le gouvernement n’ait modifié ses critères politiques, plus rien ne justifie le plan de relance de l’économie prévu par les libéraux, qui pourrait atteindre 100 milliards, selon l’Énoncé économique de l’automne 2020.

En conférence de presse mercredi matin, M. Trudeau a esquivé les questions sur les « garde-fous budgétaires », en mettant l’accent sur la stratégie libérale visant plutôt à s’attaquer au « ratio dette-PIB » — le poids de la dette en pourcentage de l’activité économique.

« Nous allons continuer à veiller à ce que nous gardions l’équilibre budgétaire du Canada en bonne santé, tout en étant là pour soutenir les Canadiens », a déclaré M. Trudeau.

« Parce que, en effet, soutenir les Canadiens à travers cette crise, soutenir les travailleurs, soutenir les personnes âgées, soutenir les petites entreprises, (cela) conduit à une meilleure croissance et une meilleure performance économique une fois que nous aurons traversé cette pandémie », a-t-il ajouté.

Marché de l’emploi fort

Le marché de l’emploi a bouclé l’année 2021 en dépassant ses niveaux d’avant la pandémie, tandis que d’autres indicateurs suggèrent que l’économie canadienne pourrait retrouver sa capacité d’antan.

Or, des analystes soutiennent qu’une abondance de mesures de relance pourrait ajouter des tensions dans l’économie, en accélérant les dépenses de consommation pour des biens très recherchés, dont beaucoup se font rares actuellement à cause de problèmes de chaîne d’approvisionnement dans le monde.

Ainsi, Rebekah Young, directrice de l’économie fiscale et provinciale à la Banque Scotia, croit que l’économie a dépassé le stade où des mesures de relance de l’État sont nécessaires — elles pourraient même être contre-productives.

Mme Young s’attendait à ce qu’Ottawa commence à signaler ses intentions budgétaires, de concert avec un changement de paradigme dans les mesures visant à assouplir les contraintes de capacité, contribuant ainsi à faire grimper les taux d’inflation.

« Mais ce sont là, au mieux, des mesures à moyen terme », a-t-elle déclaré. En attendant, « il incombe donc à la Banque du Canada de s’attaquer à ce problème. Peut-être que le meilleur scénario est que le ministère des Finances reste au moins à l’écart pour l’instant. »

Le porte-parole conservateur en matière de Finances, Pierre Poilievre, a déclaré mercredi aux journalistes qu’il voulait voir les libéraux réduire leurs dépenses et ne pas aller de l’avant avec les mesures de relance observées dans des pays comme les États-Unis.

« Ce n’est pas parce que d’autres gouvernements gaspillent leur argent et font grimper le coût de la vie de leurs citoyens que nous devons faire pareil », a-t-il déclaré.

Gare à l’inflation

Statistique Canada indiquait mercredi que le taux annuel d’inflation en décembre avait atteint un sommet en 30 ans, et des économistes croient que ce taux pourrait encore grimper.

Robert Asselin, vice-président principal des politiques au Conseil canadien des affaires, a déclaré mercredi que les marqueurs de l’inflation devraient constituer un avertissement pour le gouvernement contre une poursuite de coûteux plans de dépenses à court terme.

« Le défi qui nous attend est de ne pas laisser les erreurs politiques nuire à l’impressionnante reprise que nous avons connue au cours des derniers mois », a estimé M. Asselin, ancien conseiller budgétaire de M. Trudeau.

Des milliards de nouvelles recettes fiscales et la hausse des prix du pétrole ont donné plus de marge de manœuvre dans les livres fédéraux, ce qui, selon le directeur parlementaire du budget, pourrait financer 57,8 milliards de nouvelles mesures au cours des cinq prochaines années.

Le bureau de M. Giroux a estimé que les dépenses restantes, liées à la plate-forme électorale des libéraux, s’élèveraient à 48,5 milliards sur la même période.

Des états financiers tardifs

Le rapport du DPB sur la mise à jour économique de décembre dernier indique également que depuis le début de la pandémie, le gouvernement a dépensé ou prévu de dépenser 541,9 milliards en nouvelles mesures, jusqu’en 2027, dont près du tiers (176,6 milliards) ne font pas partie du plan d’intervention pour répondre à la COVID-19.

L’examen de ces dépenses a été rendu plus difficile, dans l’esprit de M. Giroux, par la publication tardive des états financiers vérifiés du gouvernement pour l’exercice précédent.

Le gouvernement a conservé les documents pendant deux semaines après l’approbation du cabinet, alors même que les députés débattaient de mesures de dépenses supplémentaires, a souligné M. Giroux.

Il a recommandé au Parlement de modifier les lois sur la transparence pour exiger que les états financiers soient rendus publics au plus tard à la fin septembre de chaque année.