L’Agence internationale de l’énergie (AIE), créée en 1974 pour s’assurer que le monde ne manque jamais de pétrole, affirme aujourd’hui qu’il faut arrêter dès maintenant d’investir dans la production de pétrole et de gaz si on veut limiter le réchauffement climatique.

C’est tout un virage pour une organisation qui a vu le jour à la suite du choc pétrolier de 1970 et qui, jusqu’à tout récemment, ne croyait pas que les énergies renouvelables pouvaient alimenter la croissance économique mondiale. Elle est maintenant d’avis que l’économie mondiale n’aura plus besoin du pétrole en 2050.

Pour que le plan de l’AIE se réalise dans l’horizon prévu de 30 ans, il faut que l’électricité produite dans le monde provienne entièrement de sources renouvelables, panneaux solaires et parcs éoliens, et de centrales nucléaires. Il faut aussi que les ventes de voitures neuves à essence cessent dès 2035, ce qui est aussi un objectif difficile à atteindre.

« La baisse rapide de la demande signifie qu’aucune exploration n’est requise et aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés », croit maintenant le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, qui est aussi économiste.

L’AIE prévoit que la demande de pétrole diminuera de 75 % d’ici 2050. C’est vrai que la demande de pétrole n’augmente plus et a baissé considérablement en 2020, quand la pandémie a paralysé le monde. Mais avec le rebond amorcé en Chine, aux États-Unis et ailleurs, la consommation de pétrole pourrait repartir à la hausse.

Déjà, la demande est revenue à 95 % de ce qu’elle était avant la pandémie, même si le tourisme n’a pas repris et que les avions volent peu.

Vider le réservoir

Pour éviter la catastrophe environnementale, il faut que la tendance s’inverse. Le monde doit vider son réservoir et renoncer à le remplir. Aucun des pays producteurs de pétrole qui sont membres de l’AIE ne projette de faire ça. À commencer par le Canada, qui compte sur une augmentation de la production de pétrole pour rentabiliser son investissement de 4,5 milliards dans un pipeline.

Le monde est encore au stade où des pays considérés comme des modèles, comme la Norvège, sont encensés parce que leur fonds souverain renonce à investir dans les énergies fossiles tout en continuant d’investir dans leur propre production de brut.

La semaine dernière, les pays membres du G7, dont le Canada, se sont engagés à faire plus d’efforts vers l’élimination du pétrole. Mais leur engagement se limite à ne pas accorder d’aide directe à la production d’électricité à partir du charbon.

Advenant que les pays du G7, et d’autres, décident d’aller plus loin et de suivre la route tracée par l’Agence internationale de l’énergie, les gouvernements ne pourront pas y arriver tout seuls.

Ce sont les investisseurs qui devront faire le travail. Même pour ceux parmi eux qui sont les plus motivés à changer le monde, ce ne sera pas facile de convaincre les grandes entreprises pétrolières de passer à autre chose.

Presque en même temps que l’AIE faisait son plaidoyer pour le climat, les actionnaires de Shell réunis en assemblée annuelle ont approuvé le plan de match de l’entreprise, qui prévoit un virage vers les énergies renouvelables, mais aussi des investissements massifs dans l’exploitation des hydrocarbures.

« Se retirer n’est pas une solution, a expliqué à cette occasion le grand patron de Shell. Cela n’aiderait pas la société ni les actionnaires », parce que si Shell arrête de produire, un concurrent prendra sa place, a dit Ben van Beurden, dont les propos ont été rapportés par les médias.

Les remplaçants sont déjà là. Les pays de l’OPEP, dont les économies reposent complètement sur le pétrole et dont les gouvernements contrôlent les entreprises pétrolières, n’ont ni l’intérêt ni l’obligation de cesser d’investir pour augmenter leur production. Si le monde réduit sa production de pétrole, ce sera comme un cadeau offert à l’OPEP. Sa part du marché mondial pourrait passer de 37 % actuellement à plus de 52 % en 2050, prévoit d’ailleurs l’Agence internationale de l’énergie.