Pas de nouveaux ponts, pas de routes, pas de mesures classiques de relance économique. Et selon moi, c’est une bonne nouvelle, paradoxalement !

Quand Chrystia Freeland parlait d’un éventuel plan de 70 à 100 milliards l’automne dernier, plusieurs craignaient qu’on injecte encore de l’argent dans la construction, comme par le passé. Bref, que les hommes et « leur syndrome de la pépine », comme disait Monique Jérôme-Forget, soient favorisés, du moins en partie, sous le couvert des infrastructures vertes.

Or, Chrystia Freeland a pratiquement ignoré la construction. La décision est sage, sachant que ce secteur est en surchauffe. À la place, la ministre féministe a prévu de l’argent pour le travail des femmes, pour le redéploiement des travailleurs touchés et pour les victimes de la COVID-19.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Chrystia Freeland a pratiquement ignoré la construction. La décision est sage, sachant que ce secteur est en surchauffe, indique notre chroniqueur.

Le plan est de 101 milliards sur trois ans. Dans les faits, il avoisine plutôt les 69 milliards — la borne inférieure — puisqu’il englobe la prolongation des mesures de soutien (subvention salariale d’urgence), qui n’est pas, en soi, une mesure de relance.

Une grande part de ce plan n’aura pas d’effets spontanés sur l’économie, comme ce serait le cas pour la construction.

Ses impacts seront plutôt tangibles à long terme, en faisant augmenter le potentiel économique du Canada.

Comment ? Trois exemples. En subventionnant la garde d’enfants, le fédéral fera augmenter la participation des femmes au marché du travail, comme on l’a vu au Québec. Avant la politique familiale de Pauline Marois en 1997, les femmes avaient un taux de participation de 4 points inférieur au reste du Canada. Aujourd’hui, il est 4 points plus élevé — et parmi les plus hauts au monde —, ce qui nourrit l’économie et contribue à alléger la rareté de main-d’œuvre.

Le gouvernement du Québec ne sera pas en reste. À terme, il devrait recevoir une compensation annuelle avoisinant les 2 milliards, ce qui lui permettra d’alléger son déficit.

Deuxième exemple : le redéploiement des travailleurs. Puisque l’économie post-COVID-19 offrira des emplois différents, le gouvernement aidera les travailleurs éclopés à bonifier leur formation et à se replacer. Les gens de métier et les étudiants sont notamment ciblés. Cet argent, encore une fois, rehaussera le potentiel économique à long terme.

Troisième exemple : le gouvernement fédéral bonifie l’allocation pour les travailleurs moins fortunés, en plus d’investir dans le logement abordable. Ces mesures visent des Canadiens qui ont été plus durement touchés par la pandémie, soit par une perte d’emploi qui ne reviendra pas, soit par une hausse du loyer. L’argent du fédéral permettra d’amoindrir l’exclusion d’une catégorie de Canadiens, exclusion qui a des effets néfastes sur la cohésion sociale. Ça s’appelle une reprise durable.

Bref, 69 milliards sur trois ans, plutôt bien dépensés, soit environ 23 milliards par année.

De cette somme, les deux tiers seront permanents et récurrents (16 milliards), notamment le programme de garderies (8,4 milliards annuellement à partir de 2025) et l’allocation aux travailleurs (1,7 milliard annuellement à partir de 2025).

L’effet sur le déficit ? Moins grave que prévu, puisque la ministre bénéficie d’une conjoncture économique plus favorable.

Ainsi, le déficit de l’année terminée le 31 mars 2021 ne sera pas de 399 milliards, comme dans le pire des scénarios, ni même de 382 milliards, dans le scénario mitoyen, mais de « seulement » 354 milliards. Ce déficit équivaut à 16,1 % de l’économie canadienne, mesurée par le produit intérieur brut (PIB).

Cet écart s’explique par des recettes d’impôts des particuliers plus élevées que prévu et par des dépenses fédérales moindres.

En temps normal, ce contexte favorable aurait ramené le déficit de l’année qui débute (2021-2022) à 105 milliards, mais la prolongation des subventions d’urgence jusqu’à l’automne et le plan de relance Freeland le fait bondir à 154 milliards, soit 6,4 % du PIB. Ce déficit est assez conforme à ce qui était prévu l’automne dernier, tout pris en compte.

Les perspectives pour les années suivantes sont cependant bien meilleures.

L’an prochain, le déficit passera sous la barre des 60 milliards, et il sera divisé par deux en 2025-2026 (31 milliards), quand la pandémie sera chose du passé (espérons-le). Le déficit équivaudra alors à 1,1 % du PIB.

Le changement de tendance est marquant par rapport à l’énoncé de l’automne. Si bien que la dette fédérale post-COVID-19 devrait être moins épeurante.

Oui, bon, la dette fédérale, qui était de 721 milliards avant la pandémie, atteindra 1234 milliards à la fin du présent exercice (31 mars 2022) et 1411 milliards le 31 mars 2026. Bref, elle aura doublé en six ans, à des niveaux incompréhensibles pour le commun des mortels.

Sauf que le fédéral prévoyait pire quand la deuxième vague sévissait et qu’on était encore incertain des vaccins. Dans son énoncé économique, la ministre Freeland voyait la dette atteindre 56 % du PIB en 2026, alors qu’aujourd’hui, la cible pour 2026 a été dégonflée à 49,2 % du PIB.

Notre endettement restera fort important, ne nous leurrons pas. Mais ce dégonflement prévu, jumelé à un plan sensé, permet de voir l’avenir post-COVID-19 du Canada avec assez d’optimisme.