L’augmentation de 8,4 % du prix du lait à la ferme, recommandée récemment par la Commission canadienne du lait (CCL), est un « mal nécessaire », soutiennent certains producteurs et transformateurs. Au supermarché, si le prix du litre de lait, du pot de yogourt, du fromage et du beurre risque d’augmenter, la hausse annoncée pourrait ne pas être refilée entièrement aux consommateurs.

« C’est un mal nécessaire pour les fermes, lance sans détour Nathan Kaiser, copropriétaire de la Laiterie Chagnon, qui porte à la fois le chapeau de producteur de lait et de transformateur. Les coûts ont tellement augmenté dans les dernières années et ça ne se réajustait jamais, souligne-t-il au bout du fil. Les marges n’arrêtaient pas de baisser, les coûts n’arrêtaient pas d’augmenter. C’était vraiment devenu difficile. Au moins, ça va venir aider un peu. Selon moi, ce n’est même pas assez, ajoute-t-il. Même dans la laiterie, le contenant, les cartons, tout a augmenté. »

Celui qui produit notamment du yogourt et du beurre à son usine de Waterloo se désole toutefois d’en faire payer le prix aux consommateurs. « C’est moins plaisant, reconnaît-il. [Mais] ça ne montera pas plus que tous les autres produits en épicerie. »

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Luc Boivin, directeur général de la Fromagerie Boivin, croit lui aussi que ces hausses « sont nécessaires pour la survie de l’industrie ».

« Les producteurs laitiers à travers le Canada en ont besoin, insiste-t-il. Il y a quand même eu une explosion des frais de toutes sortes : le carburant a augmenté, le coût des tracteurs, le coût des céréales aussi pour l’alimentation des vaches. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Grand patron de la Fromagerie Boivin, Luc Boivin estime que la hausse du prix du lait à la ferme est nécessaire pour aider les producteurs.

Il rappelle également que, sur les tablettes, le prix des produits laitiers a peu augmenté au cours des cinq ou six dernières années.

« On n’a pas eu de réduction de poids dans le secteur laitier, soutient-il également. Les autres secteurs alimentaires ont baissé leurs volumes, il y en a moins dans le sac de chips, de biscuits, de céréales… Dans les produits laitiers, la livre de beurre pèse encore une livre. On n’a pas appliqué beaucoup de réduction de poids. »

Garder la tête hors de l’eau

Pour les Producteurs de lait, l’augmentation proposée par la CCL permettra d’absorber « une partie » des nombreuses augmentations auxquelles sont confrontées les fermes laitières.

Selon son directeur des communications François Dumontier, pour la période s’échelonnant de juin 2020 jusqu’en août dernier, les prix de l’alimentation animale, du carburant et des combustibles ainsi que des engrais et herbicides ont respectivement grimpé de 24, 45 et 16 %.

« À un moment donné, il faut que nos entreprises restent rentables quand il y a une augmentation des coûts, a-t-il expliqué au cours d’une entrevue téléphonique. Pour un producteur, ça lui donne environ 6 cents le litre. »

Le prix aux producteurs est indexé sur la base d’une formule de la Commission qui tient compte de la production (50 %) et de l’indice des prix à la consommation (50 %). Elle peut toutefois aller plus loin. C’est ce qui s’est produit dans un contexte de pressions inflationnistes.

M. Dumontier a répété à plus d’une reprise que l’annonce de la CCL n’est pas automatiquement synonyme d’une augmentation équivalente du prix du lait de consommation.

Il a toutefois reconnu que la poussée du prix du lait risque toutefois de peser dans la balance lorsque la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec fixera les prix à la consommation – une décision attendue en décembre.

« Nous participerons aux audiences de celle-ci [la Régie] pour assurer que la catégorie demeure compétitive et que l’impact sur les consommateurs soit raisonnable », a pour sa part souligné le Conseil canadien du commerce de détail, dans une déclaration.

L’organisation qui représente les grandes chaînes d’alimentation et autres détaillants a estimé que cette « hausse historique » du prix du lait à la ferme annoncée par la CCL était « particulièrement difficile », puisqu’il s’agit d’un « produit essentiel » pour les « familles canadiennes ».

Quels types d’augmentations ?

Sur Twitter, le spécialiste de l’industrie agroalimentaire Sylvain Charlebois, professeur à l’Université Dalhousie, a estimé que les prix du lait, du beurre et du yogourt allaient probablement « monter en flèche » l’an prochain, une analyse avec laquelle M. Dumontier n’est pas tout à fait d’accord.

Les prix du fromage, du yogourt et du beurre ne sont pas réglementés, a-t-il fait valoir. À son avis, il revient aux détaillants de décider s’ils refilent ou non la totalité de l’augmentation aux consommateurs.

« Pour le fromage, les marges peuvent parfois osciller entre 40 et 50 %, a affirmé M. Dumontier. En théorie, d’autres maillons de la chaîne pourraient décider d’absorber certains coûts pour limiter la hausse des prix. »

Maurice Doyon, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, a abondé dans le même sens que le directeur des communications des Producteurs de lait du Québec.

Dans certains cas, l’expert estime que la suggestion de la CCL pourrait se traduire par une hausse de 48 cents pour 1 kg de fromage.

« Si j’achète un 250 g, cela va me coûter 12 cents de plus, illustre M. Doyon. Il faut faire une grande distinction entre ce qui se passe à la ferme et le consommateur. Plus un produit est transformé, plus la part du produit primaire est faible. »

Les annonces de la CCL peuvent attirer l’attention puisqu’elles sont publiques, a indiqué l’expert. Depuis le début de l’année, le prix du porc au Québec a « augmenté d’environ 20 % », affirme M. Doyon, en ajoutant que cela n’a pas été diffusé par communiqué.

Ajustements depuis 2017 (où le mécanisme actuel a été implanté) 

  • Février 2017 : - 0,42 %
  • Février 2018 : - 0,36 %
  • Septembre 2018 : 4,52 %
  • Février 2020 : 1,17 %
  • Février 2021 : 2 %
  • Février 2022 : 8,4 %