(Ottawa ) Les experts l’affirment et les gouvernements le savent. Les consommateurs doivent modifier leurs comportements afin d’accélérer la lutte contre les changements climatiques, notamment en délaissant le véhicule à essence au profit du véhicule à zéro émission. À lui seul, le secteur des transports est responsable d’environ le quart (23 %) des émissions de gaz à effet de serre.

Mais tous les gouvernements devront aussi modifier leurs comportements en matière de fiscalité. Car les taxes sur l’essence et le carburant rapportent une fortune à Ottawa et aux provinces. Le trou financier pour les deux ordres de gouvernement pourrait atteindre, à terme, quelque 18 milliards de dollars par année, selon des données fournies à La Presse par la Bibliothèque du Parlement. Le fisc canadien et les gouvernements provinciaux devront se tourner vers d’autres sources de taxation afin de remplacer ces milliards de dollars en revenus qui risquent de disparaître au fil des ans. D’autant plus que plusieurs partis préconisent une accélération de la transition énergétique durant la présente campagne électorale.

« Les gouvernements récoltent beaucoup de revenus grâce aux taxes sur l’essence et le carburant », souligne l’économiste Ian Lee, qui est professeur associé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton, à Ottawa.

« Nos politiciens veulent décarboniser l’économie canadienne. Il faut le faire. Je suis en faveur de cela. Mais ils n’ont aucune idée de combien cela va coûter en investissements et en pertes de revenus. La facture sera salée », prévient M. Lee, qui mène une vaste étude sur les coûts liés à la décarbonisation de l’économie canadienne.

« Actuellement, les réseaux de transport et de distribution d’électricité ne sont pas construits pour une électrification massive des transports. Nos réseaux ont aussi été construits dans un axe nord-sud, et non pas est-ouest. Cela va coûter beaucoup, beaucoup d’argent à moderniser », donne-t-il en exemple.

En juin, le ministère fédéral des Transports a annoncé qu’il sera interdit de vendre des véhicules légers neufs à essence à partir de 2035. Dans 14 ans, donc, les concessionnaires seront tenus de vendre uniquement des véhicules neufs à zéro émission.

En fin de semaine, le chef libéral, Justin Trudeau, a promis de serrer davantage la vis. S’il est réélu, un gouvernement libéral exigera qu’au moins la moitié des véhicules automobiles vendus au Canada soient à zéro émission d’ici 2030, soit dans neuf ans. Les libéraux promettent aussi d’installer 50 000 nouvelles bornes de recharge à l’échelle du pays et de maintenir la subvention de 5000 $ pour favoriser l’achat de véhicules à zéro émission.

À lui seul, le gouvernement fédéral a récolté en 2019 près de 6 milliards de dollars de revenus provenant de la taxe d’accise sur l’essence et les carburants. À cette somme, il faut ajouter la TPS, qui, selon les estimations du ministère des Finances, rapporte au moins 2 milliards de dollars annuellement à l’État.

Les provinces et les territoires, de leur côté, ont pu engranger 10,2 milliards de dollars durant cette même année en imposant une taxe de vente.

Un fonds pour les municipalités

Au printemps, le gouvernement de la Saskatchewan a décidé d’imposer une contribution annuelle de 150 $ aux propriétaires de véhicules électriques. Cette taxe, qui doit entrer en vigueur le 1er octobre, a été instaurée pour que les propriétaires de ces véhicules contribuent au fonds destiné à l’entretien du réseau routier. L’argent de ce fonds provient essentiellement de la taxe provinciale sur l’essence.

Depuis quelques années, le gouvernement fédéral utilise d’ailleurs une partie de la taxe sur l’essence pour transférer de l’argent aux municipalités afin de les aider à financer des projets d’infrastructures. La somme est imposante : 2 milliards de dollars par année. Cette somme est versée directement, deux fois par année, aux provinces qui, à leur tour, redistribuent les fonds aux municipalités. Ces dernières peuvent prendre l’argent pour effectuer des investissements dans les transports en commun, les infrastructures liées aux eaux usées, l’eau potable, la gestion des déchets solides, les routes et les ponts locaux, entre autres choses.

À la fin de juin, le Ministère a rebaptisé ce programme d’aide aux municipalités qui a été instauré par l’ancien gouvernement libéral de Paul Martin. Le Fonds de la taxe sur l’essence est ainsi devenu le Fonds pour le développement des collectivités du Canada.

Depuis leur arrivée au pouvoir, les libéraux de Justin Trudeau n’ont pas réussi à équilibrer le budget durant un seul exercice financier. La pandémie a d’ailleurs forcé le gouvernement fédéral à enregistrer un déficit record d’au moins 314 milliards de dollars en 2020-2021, selon la revue financière du ministère des Finances portant sur les 12 mois de l’exercice financier, publiée en mai. Dans le dernier budget, Ottawa prévoyait que le déficit s’établirait à 154 milliards de dollars pour l’exercice financier en cours et à 60 milliards pour l’exercice financier 2022-2023. L’encre rouge va donc continuer à couler à flots au cours des prochaines années. Durant la campagne, seul le Parti conservateur a promis de rétablir l’équilibre budgétaire dans un horizon de 10 ans.

Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, affirme que les gouvernements sauront bien adapter leurs politiques fiscales au virage énergétique qui s’amorce.

« Les gouvernements n’auront d’autre choix que de faire un sevrage de ces revenus provenant de la taxe sur l’essence. L’assiette fiscale des gouvernements change avec le temps. Ça peut et ça doit être remplacé par d’autres choses. À titre d’exemple, le gouvernement tire aujourd’hui assez peu d’argent des taxes sur les fers à cheval ! Dans le temps, tout le monde se promenait à cheval ou en calèche ! Ce mode de transport est moins populaire aujourd’hui », a-t-il illustré.