Le contrat accordé sans appel d'offres par Québec à la firme McKinsey fait sourciller

Le gouvernement Legault versera jusqu’à 5 millions de dollars à la firme de consultants McKinsey en échange d’une panoplie de services-conseils en matière de relance économique post-pandémie, une décision qui suscite une série de questions autant chez des experts que parmi l’opposition.

Un contrat de gré à gré a été accordé le mois dernier par le ministère de l’Économie et de l’Innovation à McKinsey & Compagnie Canada, filiale du cabinet international présent dans plus de 130 villes dans le monde.

Certains détails avaient été éventés dans un décret daté du 7 juillet publié dans la Gazette officielle, mais à la demande de La Presse, le Ministère a précisé que la facture pouvait atteindre jusqu’à 4,9 millions dans le cadre de cette entente dont l’échéance est fixée « au plus tard » le 21 janvier.

« Le gouvernement veut obtenir un regard externe, complémentaire à ses propres données, qui lui permettra de mieux évaluer la portée de l’ensemble de ses mesures économiques et des programmes qu’il a mis en place pour déterminer notamment si ceux-ci lui permettront d’atteindre ses objectifs de création de richesse », a indiqué dans un courriel Jean-Pierre D’Auteuil, responsable des communications au ministère de l’Économie.

Québec n’a pas voulu offrir plus de détails sur le mandat qui a été confié à McKinsey, notamment présente à Montréal, se limitant à souligner que la firme offrira des « ressources et des expertises variées ».

Sur son site web, la firme se présente comme spécialisée dans des secteurs comme l’aérospatiale et la défense, le commerce de détail, les mines et les métaux, les services financiers ainsi que les technologies.

Ce cabinet n’a obtenu « aucun contrat » de la part du Ministère, a indiqué M. D’Auteuil. McKinsey avait toutefois remporté un contrat de 1,72 million au printemps 2020 auprès du ministère du Conseil exécutif (MCE) alors que le gouvernement Legault préparait un déconfinement de la province. Le MCE avait aussi accordé un contrat de 254 000 $ à Aviseo Conseil pour des conseils économiques.

Nécessaire ?

Mais puisque la fonction publique regorge de ressources, le gouvernement Legault devait-il se tourner vers une firme externe pour obtenir des conseils ? Certains experts en doutent.

« Si vous voulez mon opinion, j’ai de la misère à croire que les ministères des Finances, de l’Économie ainsi qu’Investissement Québec n’ont pas l’expertise nécessaire », a estimé Luc Bernier, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, à propos du plus récent contrat décroché par McKinsey.

S’il souligne le « grand réseau d’expertise » du cabinet à l’international, l’expert se demande si le gouvernement Legault a décidé de retenir ses services pour montrer qu’il a « bien fait ses démarches ».

Si McKinsey permet d’éviter de prendre trois mauvaises décisions coûteuses, ça sera une bonne idée. Mais si on ne fait que valider les orientations gouvernementales, ça sera une autre histoire.

Luc Bernier, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa

Du côté de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), le directeur général François Dauphin estime qu’en matière de relance économique, on aurait pu se tourner vers la formation d’un groupe de travail regroupant, par exemple, des experts de différents secteurs et des représentants d’Investissement Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« Amplement le temps pour un appel d’offres »

Ce dernier se demande également pourquoi le gouvernement Legault a décidé de donner un contrat sans appel d’offres, une pratique devenue plus courante dans le contexte de l’urgence sanitaire.

« Est-ce que nous sommes dans une situation d’urgence quand on parle de post-pandémie ? a demandé M. Dauphin. À mon avis, on aurait dû opter pour un appel d’offres. »

Le député libéral et porte-parole de l’opposition officielle pour le Conseil du trésor et en matière d’éthique Gaétan Barrette abonde dans le même sens.

Au cours d’un entretien téléphonique, celui-ci s’est dit « étonné » de l’octroi d’un contrat sans appel d’offres « sur la base de l’urgence sanitaire », estimant au passage qu’il y avait « des limites » à agir de la sorte.

« Le gouvernement avait amplement le temps de lancer un appel d’offres, a dit M. Barrette. Deuxièmement, l’économie est supposément le fer de lance de ce gouvernement. S’il ne connaît pas les axes sur lesquels il veut agir, c’est mal parti. »

Le critique libéral croit également qu’une firme plus enracinée au Québec aurait pu offrir des services similaires à McKinsey et à un coût bien moins élevé.

La cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), Dominique Anglade, a travaillé pour McKinsey de novembre 2005 à janvier 2012.