(Paris) Une pénurie de composants électroniques en Asie force les constructeurs automobiles à ralentir la cadence dans leurs usines du monde entier, et les pousse à reprendre en main leur logistique.

Ford a annoncé jeudi réduire radicalement la production de ses pickups F-150. General Motors suspendra la production dans trois usines, aux États-Unis, au Canada et au Mexique. En Chine, certaines usines ont décidé de fermer jusqu’à 14 jours.

En France, les usines de Stellantis (ex-Peugeot-Citroën) resteront fermées samedi à Rennes et Sochaux. En Allemagne, Volkswagen a interrompu en janvier des lignes de production, à Wolfsburg et à Emden.

Semi-conducteurs

Les géants de l’automobile sont en manque de semi-conducteurs, ces petites pièces électroniques qui ont envahi les voitures. La situation est notamment critique pour les microcontrôleurs, dont on trouve 38 unités sur un gros VUS Audi par exemple, du moteur à l’ABS en passant par les coussins gonflables et l’aide au stationnement.  

Dans une industrie automobile dont la production est programmée à la minute près, la pénurie pourrait retarder la production de quelques 672 000 voitures au premier semestre, notamment en Chine et en Europe, a indiqué mardi le cabinet IHS Markit. Et les prix des pièces devraient augmenter.

Plusieurs facteurs se sont additionnés : avec la pandémie, « le fort ralentissement de l’industrie automobile mondiale au premier semestre 2020, qui a entraîné la mise en sommeil temporaire des sources d’approvisionnement, ainsi qu’un décalage des investissements initialement programmés pour répondre à la demande », analyse Claude Cham, qui représente les équipementiers français. La reprise a également été plus rapide et plus forte qu’anticipé en Asie, en particulier en Chine.

Puces omniprésentes

Par ailleurs, ces puces sont également essentielles pour nombre de secteurs de l’électronique, comme les téléphones 5G et les ordinateurs, dont la demande explose avec la pandémie.  

Bosch, premier équipementier automobile mondial et producteur de certains semi-conducteurs, explique que l’industrie des semi-conducteurs a des délais très longs, qui peuvent aller jusqu’à six mois pour des puces complexes, rendant difficile une réaction à des variations de la demande à court terme.

Par ailleurs, du côté des microcontrôleurs les plus miniaturisés, près de 70 % de la production mondiale est assurée par Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), selon IHS Markit. TSMC a expliqué que ses fonderies tournaient déjà à plein régime, mais que l’industrie automobile était « l’une de ses principales priorités » et qu’il réorientait sa production.

« Ce n’est pas une situation inédite », a souligné jeudi le patron du producteur allemand de puces Infineon, Reinhard Ploss. En 1999, le boom de la téléphonie mobile avait déjà provoqué des pénuries de composants. « Mais le fait que tous ces facteurs soient réunis est inhabituel », a souligné le dirigeant, qui va avancer l’ouverture d’une nouvelle usine.

Encore des mois de pénurie

« Nous ne voyons en aucun cas une amélioration au premier semestre », a prévenu Helmut Gassel, directeur du marketing d’Infineon : « Ça pourrait durer jusqu’à la fin de l’année ».

Le cabinet IHS Markit ne voit pas un retour à la normale avant le troisième trimestre, « quand les fonderies auront réorganisé leurs capacités de production et que la demande de produits électroniques se sera calmée ».

De Peugeot à Tesla en passant par Toyota, on assure travailler « dur » et « au quotidien » pour faire face. Ford a prévenu jeudi que ces retards allaient représenter un coût de 1 à 2,5 milliards de dollars dans ses comptes 2021. Volkswagen prévoit, comme d’autres constructeurs, de rattraper les voitures non produites au deuxième semestre.

Cette pénurie est perçue comme un coup de semonce par les constructeurs et les gouvernements européens. Les semi-conducteurs sont entrés en crise avec le boom de l’électronique, mais surtout avec le bras de fer entre les États-Unis et le producteur chinois de semi-conducteurs Huawei, dès 2019, selon Mathieu Duchâtel de l’Institut Montaigne.

Treize pays européens, dont l’Allemagne et la France, ont annoncé depuis qu’ils allaient s’unir dans ce domaine, alors que l’Europe ne représente encore que 10 % de la production.

« C’est beaucoup plus important que les logiciels ou le cloud », lançait fin janvier Joe Kaeser, alors patron de Siemens, dans le journal allemand Handelsblatt. « La microélectronique est la clé du développement du monde industriel de demain ».