Pour tout dire, la nouvelle n’a surpris personne. Ma collègue Marie-Eve Fournier, qui couvre le commerce de détail, en entendait parler depuis un an. Les efforts de la chaîne Le Château pour se sortir du pétrin s’en allaient juste nulle part.

La fin s’en venait.

Pas de profits nets depuis l’exercice de 2010. Des actions à deux cents.

Oui, le virus a eu raison de la chaîne qui a vêtu nos adolescences, paillettes disco et collants de faux cuir façon Grease inclus. Mais il a surtout mis fin à une agonie.

Parce que dans le cas du Château, contrairement à Dynamite, ou Frank and Oak, ou Aldo, d’autres chaînes du milieu de la mode qui ont aussi eu recours à la loi protégeant les entreprises de leurs créanciers, il ne s’agit pas d’une étape de restructuration des dettes et des activités. Il s’agit bel et bien d’une fermeture.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La boutique Le Château, au Centre Eaton

Le Château a tout fait pour se chercher un acheteur, du financement, une voie de secours.

En vain.

L’annulation de toutes les activités – mariages, bals des finissants, partys – qui font qu’on a envie de s’acheter une robe a été la goutte qui a fait déborder un vase déjà fort mal en point.

Il est vraiment particulier, ce corona. Il fait avec les entreprises la même chose qu’avec les humains. Il assassine les affaiblis. Ceux dont les défenses sont finies, qui étaient déjà dans leurs derniers retranchements.

Mais parfois aussi il s’attaque aux jeunes en santé. Du moins des jeunes qui auraient pu, dans d’autres circonstances moins cruelles, passer à travers une épreuve difficile, mais qui ont juste été étouffés trop fort, trop vite.

Je pense ici au restaurant Grumman ’78, qui a jeté l’éponge après 10 ans. Le restaurant de Saint-Henri, installé dans un ancien garage, d’où partait le camion de tacos éponyme.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le camion Grumman '78 et le restaurant

Là encore, on parle d’une fermeture définitive.

L’établissement qui a lancé le mouvement des « food trucks » ne rouvrira pas. Gaëlle Cerf, Hilary McGowan et leur équipe ont mis la clé dans la porte et leurs équipements à vendre. Tout a été liquidé le week-end dernier, histoire d’amasser un peu d’argent pour aider à payer les fournisseurs.

Est-ce que Grumman ’78 avait particulièrement moins de liquidités que les autres petits restaurants indépendants qui font le charme de la scène gastronomique montréalaise, moins de marge de manœuvre pour éponger les pertes ?

Ou est-ce que c’est tout simplement le premier à avoir le courage de mettre fin à la saignée ?

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On l’a annoncée, on l’a prédite. Mais ça y est, elle est là.

L’épidémie de fermetures commence.

Et, oui, elle va achever des entreprises qui n’étaient pas en forme, au départ, mais pas que celles-là.

Elle va s’en prendre aux amateurs de risques en pleine forme, qui n’ont pas été irresponsables, mais qui ont juste joué leurs cartes sans imaginer qu’une telle catastrophe puisse se produire. D’ailleurs, qui l’aurait imaginé ?

Elle va toucher aussi les petits qui fonctionnent avec des marges microscopiques, par passion.

Pour chaque Le Château, il y aura de nombreuses jeunes sociétés dynamiques, juste incapables de tenir le coup malgré le programme de remboursements de frais fixes.

Et ici, je pense évidemment à tout le secteur de la restauration et de l’hôtellerie, deux créneaux frappés de plein fouet par les confinements imposés depuis mars dernier.

Deux mondes qu’on ne peut pas accuser d’avoir mal géré leurs affaires.

Le Château allait mal depuis longtemps.

Pas Grumman ’78.

Et bien des restaurants actuellement en difficulté étaient, il y a un an, des entreprises saines.

Et non seulement ça, ce sont des entreprises qui ont investi depuis le début de la pandémie pour s’adapter à la situation, pour rester ouverts malgré tout, avec des panneaux de plexiglas isolant les clients les uns des autres et protégeant le personnel, de nouvelles zones extérieures, des menus adaptés aux exigences de la livraison.

On a demandé aux restaurateurs de faire des acrobaties folles pour rester en vie, ce qu’ils ont accepté de faire. Mais ensuite on leur a demandé de fermer encore.

Ce qui leur arrive est plus qu’éprouvant. Et réellement injuste.

Ils paient le prix d’exister dans un créneau où les gens se côtoient et partagent, alors que d’autres cartonnent parce qu’ils vendent de la farine ou du papier hygiénique. Ce n’est pas leur génie des affaires qui leur a fait ce cadeau-là.

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Bref, préparez-vous aux vides laissés un peu partout.

Et il faudrait presque demander à François Legault de commencer à ajouter ces données à ses bilans quotidiens. Le nombre d’emplois perdus. Le nombre de portes fermées à jamais.

Le gouvernement actuel aura beaucoup de comptes à rendre.

Il devra un jour expliquer si c’était réellement la meilleure voie, toutes ces fermetures de confinement préparant la voie aux fermetures définitives.

Mais probablement qu’il ne sera plus là quand Montréal ne sera plus lui-même, quand le Québec ne sera plus lui-même, sans les Grumman ’78 de ce monde, qui, comme bien d’autres futures victimes, en font l’originalité et la particularité.