(Ottawa) Le directeur parlementaire du budget affirme qu’Ottawa a privé les provinces de 14,5 milliards en paiements de péréquation depuis 10 ans, grâce à de nouvelles règles de calcul mises en place après la crise économique de 2008. Et avec la pandémie, les choses ne risquent pas de s’améliorer pour les provinces.

L’examen des transferts fédéraux aux provinces sur 10 ans montre que le gouvernement fédéral a réalisé ces économies de 14,5 milliards « en limitant la croissance des paiements de péréquation à la croissance du PIB nominal », indique le directeur parlementaire du budget (DPB). En vertu de ce nouveau calcul, le Québec a été privé de 4,6 milliards et l’Ontario de 8,1 milliards.

Les paiements de transferts, un pilier du fédéralisme canadien, enchâssé dans la Constitution, visent à soutenir la capacité financière des provinces afin que tous les Canadiens puissent bénéficier de services publics raisonnablement comparables. Or, il y a dix ans, le calcul annuel de la péréquation a été modifié : les paiements de transferts ont alors été liés à la « moyenne mobile sur trois ans » de la croissance du PIB nominal, une formule qui ne tient pas compte du rythme annuel de l’inflation et peut surestimer la croissance de l’économie.

Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, estime que cette « règle du taux de croissance » appliquée il y a dix ans « semble avoir empêché une hausse importante des paiements de péréquation qui se serait normalement produite après la récession de 2009 ». Selon le DPB, les chiffres suggèrent aussi que les paiements de péréquation n’ont pas été suffisants pour aider les provinces qui en bénéficient.

Et à l’avenir, les paiements pourraient encore baisser si le PIB nominal s’effondre et fait baisser cette « moyenne mobile sur trois ans », a prévenu M. Giroux dans une entrevue à La Presse canadienne.

Dans son Portrait de l’économie et des finances publiques du Canada, déposé en juillet, le gouvernement fédéral prévoyait une baisse de 6,7 % du PIB nominal à l’échelle du Canada. « Nous ne verrons probablement aucune croissance des paiements de péréquation dans l’ensemble des provinces et des territoires », a estimé M. Giroux, jeudi. « Au cours des trois prochaines années, il est tout à fait concevable que le programme de péréquation sous-compensera les provinces — peut-être pas toutes, mais globalement. »

Le fédéral en meilleure posture

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle règle du taux de croissance en 2010, six provinces ont bénéficié de paiements de péréquation à chaque exercice, indique le DPB. Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique n’ont pas reçu de paiements de péréquation durant cette période. Par ailleurs, l’Ontario n’est plus une province bénéficiaire depuis 2019-2020.

Lorsque M. Giroux a examiné la situation financière des provinces plus tôt cette année, avant la pandémie, il a constaté qu’elles devraient collectivement réduire leurs dépenses ou augmenter les impôts — ou une combinaison des deux mesures — pour combler un manque à gagner de 6 milliards si elles voulaient assainir leurs finances à long terme.

Or, le gouvernement fédéral est en meilleure posture financière, soutient M. Giroux : Ottawa pourrait augmenter ses dépenses de 40 milliards et rester « financièrement viable » au cours des prochaines années. Lorsque ce rapport sur les finances publiques des gouvernements a été publié en février, M. Giroux avait estimé que la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement fédéral pourrait facilement lui permettre de modifier les paiements de transferts aux provinces.

Mais la pandémie a fait grimper les dépenses et réduit les recettes fiscales des gouvernements : le déficit fédéral atteint maintenant 343,2 milliards et il risque de s’accroître avec les dizaines de milliards de dépenses récemment proposées. Sans compter que les libéraux promettent un vaste plan pour une « économie verte », dans leur discours du Trône du 23 septembre.

M. Giroux croit que les libéraux devront établir un plan clair pour réduire progressivement le déficit — soit dans une mise à jour économique cet automne, soit dans un budget. Les libéraux n’ont pas encore déposé de budget pour cet exercice qui a débuté en mars, invoquant les incertitudes liées à la pandémie.

« Il est clair que le niveau de déficit attendu pour l’exercice en cours, 343 milliards, est soutenable pour cette année, a-t-il estimé. Mais comme je l’ai déjà dit, le gouvernement du Canada ne peut pas gérer ce niveau de déficit pendant de nombreuses années sans que la situation devienne insoutenable. »

Les finances provinciales ne s’en sont guère mieux tirées, et c’est pourquoi le bureau de M. Giroux prend la décision inhabituelle de mettre à jour dès cet automne son examen des finances publiques des provinces et du fédéral. Un tel rapport est généralement mis à jour tous les 12 à 18 mois, mais M. Giroux a indiqué qu’un nouveau rapport, tenant compte de la pandémie, serait publié en octobre — huit mois après le plus récent, déposé juste avant la crise sanitaire.