C’est une statistique publiée chaque semaine et qui est suivie avec un intérêt apparemment constant depuis… 70 ans. Le « rig count », ou la comptabilisation hebdomadaire du nombre de puits de pétrole actifs aux États-Unis, est un indicateur de la santé du secteur, mais aussi de l’importance du pétrole dans la vie des Américains.

La firme américaine Baker Hughes compte chaque semaine le nombre de puits de pétrole en activité au Canada et aux États-Unis depuis 1944.

Ces statistiques sont d’un intérêt renouvelé depuis que les technologies de fracturation ont permis aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial de pétrole. Cela place les gouvernements américains dans une position délicate. Trop cher, le pétrole rend les Américains furieux à la pompe. Pas assez cher, il risque d’anéantir le secteur pétrolier américain.

La production de pétrole aux États-Unis a devancé celle de l’Arabie saoudite en 2018. Les guerres de prix qui éclatent périodiquement entre les producteurs de pétrole qui veulent accroître leurs parts de marché visent donc de plus en plus les Américains et leur pétrole issu des shales (« schistes »), plus coûteux à produire que celui des Saoudiens.

La plus récente de ces guerres de prix, amorcée alors que la crise du coronavirus commençait à paralyser l’économie mondiale, fait très mal au secteur pétrolier américain. Le nombre de puits en activité est tombé en juin à son niveau le plus bas depuis 2009, avant la révolution des shales, selon les plus récents chiffres de Baker Hughes.

Le nombre de puits en activité est actuellement en baisse de 71 % par rapport à son niveau de l’an dernier. Il y a derrière cette baisse plusieurs faillites, des milliers d’emplois et toute une activité économique qui disparaît.

La production de pétrole aux États-Unis est en baisse depuis 11 semaines, comme partout ailleurs dans le monde, alors que les principaux producteurs ont fini par s’entendre pour ajuster leur offre à une demande qui reste anémique.

Il faudra peut-être des années avant que la consommation (et les prix) revienne à son niveau d’avant-pandémie. Et ça ne reviendra peut-être jamais, estiment plusieurs spécialistes, dont ceux de Moody’s. « La demande de pétrole pourrait être très longue à revenir en raison de la faible croissance économique, des efforts de décarbonation et des changements de comportement des consommateurs », estime James Leaton, vice-président de la firme de crédit.

En fait, il est fort possible que la demande mondiale de pétrole ait atteint son pic en 2019, selon lui.

Crise

Ce n’est pas la première crise que traverse le secteur pétrolier. Mais cette crise-ci s’annonce plus grave et surtout plus durable pour les producteurs américains. Après avoir plongé en mars, le prix du brut s’est relevé au cours des dernières semaines. Mais au prix actuel de 40 $ US le baril de West Texas Intermediate, le secteur pétrolier américain ne fait pas d’argent.

Selon les spécialistes du secteur, le prix du brut doit être supérieur à 45 $ US le baril pour assurer une rentabilité minimale aux producteurs de pétrole américain. Ce prix d’équilibre (le fameux break even) varie entre 48 $ US et 54 $ US selon la région et les exploitations. Les producteurs canadiens qui exploitent le pétrole des sables bitumineux sont encore plus mal pris, parce que les coûts de production sont plus élevés et qu’ils obtiennent un prix plus bas parce qu’ils n’ont pas accès au marché international.

Aux prix actuels, tous les producteurs sont dans le fond du puits. Même les Saoudiens, qui ont les coûts de production les plus bas au monde, soit en deçà de 5 $ US le baril. Compte tenu du niveau élevé de ses dépenses, et du fait qu’il n’a rien d’autre que du pétrole, le pays a besoin d’un prix du brut à 80 $ US pour pouvoir remplir ses obligations sans avoir à piger dans ses réserves financières. C’est ce qu’on appelle le prix d’équilibre fiscal, qui est différent du prix d’équilibre qui, lui, marque la frontière entre activité rentable et activité déficitaire.

C’est un concept intéressant, le prix d’équilibre fiscal. Ça nous rappelle qu’il ne suffit pas d’avoir du pétrole pour être riche.