« Aidez-nous ! », dit Caroline Fortin. Si la directrice générale de Québec Amérique, l’une des maisons d’édition les plus importantes au Québec, lance ce cri du cœur, c’est parce que l’ensemble du milieu du livre québécois est (très) inquiet depuis le début de la crise du coronavirus.

Depuis la fermeture des librairies à la mi-mars, les ventes de livres ont chuté d’environ 70 % au Québec. Les libraires peinent à payer leur loyer ou en retardent le paiement, d’autres suspendent les paiements à leurs fournisseurs.

En temps normal, on ne devient pas riche au Québec en vendant des livres : les libraires ont un taux de profit net d’environ 1 %. Et nous ne sommes pas en temps normal.

Si la crise économique se prolonge pendant des mois, votre librairie de quartier ou votre maison d’édition québécoise préférée pourrait-elle disparaître ? Oui, croient plusieurs intervenants du milieu du livre.

Si ça repart dans deux mois, ça va peut-être bien aller. Quatre ou six mois ? Là, on va avoir un problème. On va perdre des distributeurs, des librairies, des éditeurs. Espérons le moins possible.

Luc Lavoie, propriétaire de la Librairie Ste-Thérèse, sur la Rive-Nord de Montréal

« Je ne pense pas qu’un grand nombre de librairies puissent tenir plus de deux ou trois mois si les ventes ne sont pas au rendez-vous », dit Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec, qui regroupe 134 des 170 librairies indépendantes de la province.

D’où l’appel à l’aide de Caroline Fortin. « À la reprise [de l’économie], ce sont des ventes dont on va avoir besoin. L’aide la plus importante, c’est la promotion de l’achat québécois », dit-elle.

Le livre québécois d’abord

Son idée : que le gouvernement Legault oblige les commissions scolaires et les bibliothèques publiques à hausser leurs achats de livres québécois. Au Québec, environ 40 % des livres vendus chaque année sont achetés par les bibliothèques publiques et les commissions scolaires pour les élèves du primaire et du secondaire. Selon la proposition de Caroline Fortin, les élèves québécois liraient davantage Michel Tremblay et Dany Laferrière que Molière ou Shakespeare, du moins pour un temps.

Cette « aide » de Québec ne coûterait rien, estiment les maisons d’édition, puisque les commissions scolaires et les bibliothèques publiques ont déjà des budgets dédiés à l’achat de livres. En 2018, les bibliothèques publiques ont consacré environ 29 % de leur budget d’acquisition aux livres québécois (10 millions sur 35 millions).

Livres invendus, loyers et achats québécois

La chaîne Renaud-Bray, qui vend environ 27 % des livres au Québec, les librairies indépendantes (37 %) et les maisons d’édition (20 % en ventes directes) demandent essentiellement trois types d’aide au gouvernement du Québec pour soutenir l’industrie du livre durant cette période difficile.

Premièrement, hausser les achats de livres québécois par les commissions scolaires et les bibliothèques publiques.

Deuxièmement, que Québec garantisse la valeur des livres invendus actuellement en librairies, une mesure qui coûterait environ 60 millions. Habituellement, environ 30 % des livres en librairie sont retournés à la maison d’édition, qui rembourse le libraire. L’argent monte et descend ainsi le long de la chaîne (libraire, distributeur, éditeur). Si un maillon de la chaîne cesse de payer, c’est la chaîne au complet qui risque de tomber par un effet de dominos.

Troisièmement, les 170 librairies indépendantes ne pourront pas payer longtemps leur loyer avec des ventes en baisse de 70 % : elles demandent donc une subvention pour payer leur loyer le temps de la crise. Actuellement, Québec offre seulement des prêts.

Ça va avoir l’air prétentieux, mais on croit fermement que le livre n’est pas un produit comme les autres. La librairie indépendante est garante de l’accès à une diversité de livres. Ce n’est pas vrai qu’un algorithme peut remplacer les conseils offerts par un libraire.

Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec

Le gouvernement Legault indique réfléchir « à divers moyens d’atténuer les répercussions de cette pandémie sur le marché du livre ».

Une dernière solution, elle, n’est pas entre les mains du gouvernement Legault, mais bien des lecteurs du Québec. « Acheter local, c’est sélectionner des auteurs québécois publiés chez des éditeurs québécois », souligne Caroline Fortin, de Québec Amérique. Même si, durant la crise de la COVID-19, la vente de livres numériques ou de livres imprimés envoyés par la poste est moins rentable pour les libraires. « Après les frais de livraison et la carte de crédit, le profit fond au soleil », assure Luc Lavoie, propriétaire de la Librairie Ste-Thérèse.

L’industrie du livre au Québec en chiffres

• 614 millions : Ventes annuelles (en millions de dollars) de livres au Québec

• Environ 55 % : Part de marché des livres d’auteurs québécois et des maisons d’édition québécoises et canadiennes dans les ventes de livres au Québec

• 6000 : Nombre de nouveaux titres francophones d’éditeurs canadiens parus chaque année

Sources : Institut de la statistique du Québec, Société de gestion de la banque de titres de langue française