Québec, 22 mai 1940. J’ai pris le train de Montréal vers Québec, lundi, pour assister au premier budget du gouvernement d’Adélard Godbout. Laissez-moi vous dire que le ticket de 1,25 $ en valait la chandelle.

Que de surprises, messieurs, et je devrais dire aussi mesdames, car elles ont maintenant le droit de vote depuis 27 jours au Québec. Nos lectrices devraient donc lire attentivement ce qui suit, entre la préparation du ragoût de patates, l’élevage de la marmaille et la récitation du chapelet quotidien.

En résumé, le nouveau trésorier de la province de Québec, James Arthur Mathewson, a décrit des finances publiques mal en point. Pour renflouer les coffres, il a annoncé de tout nouveaux impôts, l’un prélevé sur vos revenus et l’autre, sur vos achats, ce qui est une première au Québec (après le fédéral). Gériboire, comme dirait mon oncle !

La guerre

Mais procédons dans l’ordre. Première surprise : James Arthur Mathewson a prononcé la moitié de son discours en français ! N’est-ce pas étonnant de la part de cet Anglais protestant de Montréal  ? Il a justifié le fait de discourir dans cette langue par sa reconnaissance envers tous les citoyens qui ont rejeté l’Union nationale de Maurice Duplessis, en octobre dernier.

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Le gouvernement d’Adélard Godbout le 10 novembre 1939. De gauche à droite : Wilfrid Hamel, L.-J. Thisdel, 
Frank Connors, Edgar Rochette, Oscar Drouin, Wilfrid Girouard, T.-D. Bouchard, Alfred Morisset (debout), Adélard Godbout (assis au centre), Arthur Mathewson, P.-É. Côté, Léon Casgrain, Cléophas Bastien, Henri Groulx, G.-É. Dansereau.

« Des politiciens ont osé chercher à faire croire aux citoyens de cette province qu’ils n’étaient pas citoyens de la Puissance du Canada et que, le pays étant en guerre, Québec seule pouvait refuser de faire son devoir. Ces messieurs se sont trompés, le bon cœur de la province de Québec bat en unisson avec le reste du pays », a déclaré le nouveau trésorier à la levée du huis clos budgétaire.

Il y a 11 jours, comme vous le savez, l’armée d’Adolf Hitler a envahi la Belgique et le trésorier a voulu rappeler que « l’Allemagne est l’ennemi de tous ».

Le trou de 30 millions

Venons-en aux chiffres. Hier, M. Mathewson a affirmé que sous le régime Duplessis, 30 millions de dollars avaient disparu « comme une goutte d’eau sur un poêle chaud ».

Il en a fait le constat après avoir commandé une enquête à deux experts, dès l’arrivée au pouvoir de son parti libéral, l’automne dernier. Il appert que le défunt gouvernement Duplessis a dû emprunter aux Américains 30 millions en juillet 1939 pour payer les sommes qu’il devait à ses fournisseurs et organismes de charité.

Le gouvernement Duplessis avait pourtant annoncé des surplus au cours des budgets précédents, surplus qui seraient donc factices.

En tous les cas, selon le rapport, la dette a doublé durant les trois dernières années Duplessis, atteignant 420 millions en date du 8 novembre 1939. N’est-ce pas une grosse dette quand on sait que les revenus de cette année seront de seulement 70 millions ?

Comment expliquer que le gouvernement Duplessis ait pu cacher cette explosion de la dette ? Réponse du trésorier, hier : parce que les dépenses statutaires, contrairement aux dépenses budgétaires, « ne sont pas votées chaque année par la législature… On s’est servi de ce pouvoir pour dépasser les prévisions, trompant ainsi la population ».

M. Mathewson a donc promis une loi pour obliger un meilleur contrôle des dépenses et donc du déficit. C’est à se demander comment sera perçue cette loi anti-déficit, si l’on peut dire, par les générations futures !

Tout de même, ne soyons pas dupes : la venue d’un nouveau gouvernement s’accompagne toujours d’une critique des manœuvres des prédécesseurs.

Souvenez-vous du budget d’avril 1937, quand l’Union nationale a pris le pouvoir. Le trésorier du parti de Maurice Duplessis, Martin B. Fisher, avait alors affirmé que les libéraux de Louis-Alexandre Taschereau avaient fait du « camouflage » en présentant des budgets qui couvraient seulement une partie des dépenses.

Sans ce jonglage, justement, le déficit global de 1936 aurait été de… 30 millions ! Blanc bonnet, bonnet blanc ?

Les « secours directs »

Quoi qu’il en soit, un des principaux éléments qui ont fait exploser les déficits récents est le poste de « Secours directs ». Ce programme a été mis en place pour venir en aide aux nombreux Canadiens aux prises avec le chômage qui a suivi la crise de 1929.

Hier, le trésorier Mathewson a été peu bavard à ce sujet. Pourtant, le précédent gouvernement Duplessis avait dit à quel point les « Secours directs », imposés par le fédéral, étaient « le problème le plus grave à résoudre ».

Au départ, le programme était financé au tiers par le fédéral. Or, après 1934, Ottawa a réduit son financement substantiellement, tant et si bien qu’entre août 1936 et décembre 1938, le fédéral a assumé seulement 24 % de la facture de 70 millions, contre 60 % pour le gouvernement du Québec et 16 % pour les municipalités.

Un impôt sur vos revenus !

Dans le budget présenté hier, le gouvernement Godbout s’attarde à faire des compressions importantes et à augmenter les revenus pour revenir à l’équilibre budgétaire.

Et, ô surprise ! Parmi les mesures se trouve un nouvel impôt sur le revenu ! Le taux sera de 15 % de l’impôt sur le revenu fédéral, ce qui permettra d’empocher 4 millions annuellement. Une nouvelle taxe de vente de 2 % rapportera 6 millions par an et une autre sur le tabac permettra d’encaisser 2,0 millions.

De plus, le gouvernement fera passer « la taxe sur les profits des corporations » de 2,5 à 5 %, ce qui devrait rapporter 4 millions.

Le trésorier Arthur Mathewson juge qu’une province avec des finances en bon ordre est le meilleur moyen d’inciter les industries à venir « frapper à notre porte » lorsque la guerre sera terminée.

Il reste à voir ce qu’en pensera la population. Espérons que le gouvernement Godbout respectera sa promesse de ne pas imposer la conscription, qui nous imposerait d’envoyer nos jeunes à la guerre.

Alors, vous ai-je dit que le ticket de train de 1,25 $ en valait la peine ?