Pourquoi le Québec, qui est un champion de l’aluminium, ne fabrique-t-il pas de canettes ? Ce n’est pas que les Québécois snobent la petite grise, la part de marché de la bière en canettes est passée de 39 % à 64 % en cinq ans. La science économique nous donne la clé de l’énigme en vertu de la théorie des avantages comparatifs. Les quoi ?

Les avantages comparatifs

La science économique démontre que les pays gagnent à concentrer leurs efforts dans la production de biens où ils jouissent d’avantages que les pays concurrents ne partagent pas.

Ce concept explique pourquoi le Québec importe des pays chauds des conteneurs de bananes qui se vendent au détail à 79 cents la livre, plutôt que de dépenser une fortune pour faire pousser des bananiers dans les serres chez Savoura ou ailleurs. Le bananier pousse avec facilité au Costa Rica, pas du tout à Arvida. Mais quel est le lien entre les bananes et nos bons lingots d’alu ? On y arrive.

10 : Nombre de fonderies au Canada

Électricité bon marché

L’aluminium n’existe pas à l’état naturel. Il est produit à partir de bauxite, de laquelle on extrait l’alumine qui, par électrolyse, est ensuite transformée en or gris. Les principaux pays où l’on trouve de la bauxite sont l’Australie, la Chine et le Ghana. Des trois, seule la Chine est un producteur majeur d’aluminium. Pourquoi est-ce le cas ? L’intrant clé dans la production d’aluminium, ce n’est pas la proximité de sites de bauxite, c’est l’électricité qui constitue de 27 à 40 % du prix coûtant d’un lingot, selon les régions productrices. Et de l’électricité bon marché, le Québec en a beaucoup. Deux régions productrices d’aluminium, le Moyen-Orient et le Canada, ont en commun deux facteurs : un très grand volume d’énergie accessible, jumelé à l’absence d’un marché de consommation dans un rayon immédiat, d’où la nécessité d’exporter cette énergie.

La production primaire d’aluminium, c’est une façon différente d’exporter l’énergie sur les marchés.

Jean Simard, porte-parole de l’Association de l’aluminium du Canada

Production d’aluminium de première fusion (2017)

Canada : 3,2 millions de tonnes États-Unis : 740 000 tonnes

Source : Ressources naturelles Canada

66 % : Proportion de l’aluminium primaire importé aux États-Unis qui provient du Canada

Source : Can Manufacturers Institute

Raffineries américaines vieillissantes

Il existe des raffineries aux États-Unis, mais celles-ci sont vieillissantes et coûteuses. La raison ? L’électricité y a longtemps coûté plus cher et elle est vendue par contrat de court et de moyen terme. Bref, la production de métal primaire décline aux États-Unis ; les tarifs de Trump n’y changeront pas grand-chose.

Masse critique de consommateurs recherchée

Bon, on comprend maintenant pourquoi les Rio Tinto et Alcoa sont au Québec. Mais pourquoi ne fabrique-t-on pas à Montréal des canettes de Pepsi ou de Molson Export ?

Dans la canette, l’électricité n’est plus la clé ; l’avantage comparatif devient la masse critique de consommateurs.

La canette d’aluminium a beau peser une plume, elle occupe un volume. « Transporter des canettes, c’est payer pour transporter de l’air », résume M. Simard. Mieux vaut donc limiter les distances.

Pour cette raison, les usines de canettes sont situées près des consommateurs. À ce chapitre, le Québec, avec ses 8 millions d’habitants, ne fait pas le poids face aux 325 millions de consommateurs chez nos voisins du Sud.

Consommation de canettes par année

Québec : 1 milliard États-Unis : 100 milliards

Source : Can Manufacturers Institute

L’aluminium se transporte mieux en lingots qu’en produits finis. Dans les produits finis, le coût du transport est énorme. On peut penser que l’industrie [de la transformation] ne se localise pas au Saguenay à cause du coût de transport.

Marc-Urbain Proulx, professeur d’économie, Université du Québec à Chicoutimi

Une seule usine au pays

Le fabricant de canettes Ball Corp. exploite 19 usines en Amérique du Nord ; une seule est située au Canada, soit à Whitby, tout près de Toronto, le plus gros marché canadien. Cette usine a aussi l’avantage d’être à proximité de laminoirs américains qui fabriquent de la tôle d’aluminium, avec laquelle on fabrique des canettes.

Le défi de la compétitivité 

Bref, le Québec produit le métal primaire, mais la transformation est l’affaire des Américains.

Le rôle du Mexique ? Ses bas salaires, autre avantage comparatif, ont attiré des fabricants d’automobiles et de pièces, souvent localisés le long de la frontière américaine. Leur présence a donné naissance à une industrie de fabrication d’aluminium à partir de résidus recyclés.

Que faut-il en conclure ? Que le Québec aura fort à faire pour attirer sur son territoire une usine de canettes. Il y aura toujours le défi de la compétitivité. Les usines de deuxième transformation ont avantage à être collées sur l’utilisateur final, comme les usines automobiles qui s’approvisionnent en juste-à-temps.

La théorie des avantages comparatifs indique que la force de la Belle Province réside dans son hydroélectricité verte, abondante et bon marché.