Le gouvernement fédéral a été prévenu dès 2015 dans un rapport de la possibilité de pertes d'emplois et de fermetures de médias écrits au Canada, a appris La Presse.

Le mois dernier, Torstar et Postmedia ont conclu une transaction dans laquelle les deux entreprises s'échangent une quarantaine de quotidiens et d'hebdomadaires, puis en ferment une trentaine, supprimant ainsi 300 emplois. La ministre fédérale du Patrimoine canadien Mélanie Joly avait qualifié de « cynique » la décision des deux entreprises médias.

Or, un rapport commandé par le gouvernement fédéral en 2015 prévoyait un « élagage général du nombre de publications dans tous les segments de l'industrie » des médias écrits au cours des cinq ou dix prochaines années. Le rapport reçu par le ministère du Patrimoine canadien le 30 juillet 2015 évoquait trois scénarios d'avenir pour les médias écrits : chaque scénario comportait des pertes d'emplois et la fermeture de certains journaux. Le gouvernement Trudeau n'a pas adopté de plan d'aide pour les médias écrits depuis son élection, à l'automne 2015.

Advenant un statu quo - le scénario qui s'est avéré juste pour l'instant, puisque le gouvernement Trudeau n'a pas changé les règles de propriété étrangère ni annoncé de plan d'aide pour les médias écrits -, le rapport prévoit des fermetures de médias écrits et des pertes d'emplois.

« En partie par les fusions et les consolidations en raison du déclin éventuel du contenu imprimé, on remarque une suppression graduelle de l'empreinte générale de l'emploi dans l'industrie. On assiste également à un élagage général du nombre de publications dans tous les segments de l'industrie », écrivent les firmes Nordicity et Lacunae Consulting dans leur rapport intitulé « Les répercussions de la technologie numérique sur l'industrie de la presse écrite au Canada ».

LES TROIS SCÉNARIOS ENVISAGÉS

Selon ce premier scénario basé sur le statu quo (les règles de propriété étrangère restent en vigueur), la presse écrite est « encore dépendante » des revenus de publicité et d'abonnement. Certains médias font des investissements technologiques. Les entreprises internet (par exemple, Google et Facebook) entrent de plus en plus dans une relation de « compétition » avec les journaux. « Dans ce scénario, certains journaux traditionnels réussissent à survivre en coupant dans les coûts fixes - soit le personnel - et les quotidiens payants apprennent à faire plus avec moins », écrivent Nordicity et Lacunae.

Le deuxième scénario élaboré par Nordicity et Lacunae : les médias écrits canadiens se diversifient à l'ère numérique, notamment en investissant pour tenter de trouver des revenus d'activités accessoires et de nouveaux partenariats. « Autrement dit, faire la lumière sur [le prochain modèle d'affaires qui permettra de] [...] conserver les salles de nouvelles et y investir sans coûts indirects d'impression. » Ce scénario prévoit aussi des pertes d'emplois et dans les conditions de travail pour « faire face aux dures réalités ». 

« Dans ce scénario, nous conservons les perspectives canadiennes en matière d'information pourvu que les éditeurs canadiens réussissent à survivre, alors que l'on tente de plus en plus d'acquérir un lectorat international », écrivent Nordicity et Lacunae.

Le troisième scénario, où Ottawa permet aux entreprises étrangères de posséder plus de 50 % des médias canadiens (ce qui est découragé actuellement par la Loi sur l'impôt sur le revenu), « suppose d'importantes fusions et des fermetures de journaux traditionnels ». Il s'agit du pire scénario pour l'industrie, « car il existe peu de publications sur le marché canadien » dans le cadre de ce scénario mondialisé.

Le rapport a été déposé à Ottawa le 30 juillet 2015, soit quelques jours avant le déclenchement de la campagne fédérale qui a mené à l'élection du gouvernement Trudeau. Le ministère du Patrimoine canadien indique que l'étude a été utilisée par les fonctionnaires à des fins de recherche.

FONDS INDÉPENDANT

Une fois en poste, le gouvernement Trudeau a commandé un autre rapport sur l'industrie des médias au Forum des politiques publiques. Ce rapport, rédigé par l'ex-rédacteur en chef du Globe and Mail Edward Greenspon et rendu public en janvier 2017, propose notamment la création d'une taxe de 10 % sur les revenus publicitaires des entreprises comme Facebook et Google dont 75 % de la masse salariale n'est pas établie au Canada.

Cette taxe permettrait de générer environ 400 millions de dollars par an, qui seraient versés dans un fonds indépendant pour le journalisme. Selon ce rapport, 27 quotidiens et 225 hebdomadaires ont fermé au pays depuis 2010. 

Lors de l'annonce de la politique culturelle fédérale, à la fin du mois de septembre, le gouvernement Trudeau n'a pas dévoilé de plan d'aide pour les médias écrits. Dans son discours, la ministre fédérale du Patrimoine canadien Mélanie Joly avait indiqué ne pas avoir l'intention « de soutenir les modèles qui ne sont plus viables pour l'industrie », préférant « centrer [l']aide sur l'innovation, l'expérimentation et la transition vers le numérique ».

« Du journalisme fiable est essentiel à une démocratie saine. Pendant nos consultations [sur la politique culturelle en 2016-2017], nous avons entendu plus de 30 000 Canadiens qui nous ont fait part de l'importance qu'ils accordent à leurs médias locaux. Nous allons continuer à les soutenir. Nous avons déjà annoncé que nous allons moderniser nos programmes afin de mieux soutenir notre presse écrite en format papier et numérique. Notre approche sera de promouvoir l'innovation, l'adaptation et la transition vers le numérique », affirme Simon Ross, attaché de presse de la ministre Mélanie Joly.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse