La conversion massive aux services de télévision numérique comme Illico, Fibe ou Optik ouvre maintenant la porte aux géants de la télécommunication qui souhaitent accumuler des données sur les habitudes d'écoute de leurs abonnés. Et certains ont déjà commencé.

L'utilisation des terminaux de télévision numérique et des communications bidirectionnelles qu'ils permettent afin de comptabiliser des cotes d'écoute est l'un des points abordés récemment par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans son audience «Parlons télé».

Techniquement, il est depuis quelques années possible pour un télédistributeur d'emmagasiner des données sur l'écoute de la télévision: quelle chaîne, à quelle heure, pendant combien de temps, etc.

Il semble que Bell se livre déjà à cet exercice avec son service Fibe.

«Pour ce qui a trait à la télé, nous gardons les données d'audience pour des raisons de choix de programmation uniquement», a répondu par courriel une porte-parole de l'entreprise lorsqu'on l'a interrogée sur les renseignements personnels qui pouvaient être accumulés par ses différents services.

Ces données sont utilisées «pour mesurer l'auditoire d'une émission et déterminer les parts de marché des émissions».

«La disponibilité des détails de chaque client dépend de la technologie des récepteurs, et son usage potentiel est en train d'être étudié par le CRTC en ce moment», a-t-elle poursuivi.

Dans sa soumission pour l'audience «Parlons télé», Bell suggère la création d'un organisme regroupant tous les télédistributeurs afin de compiler des données de cotes d'écoute «plus précises» que celles qui sont actuellement disponibles. Lesdites données pourraient tenir compte à la fois de l'écoute en direct, sur enregistrement ou par vidéo sur demande.

Toutes nos demandes de précisions sur les pratiques de Bell sont restées sans réponse. Le concurrent Vidéotron a lui aussi donné une réponse évasive, sans jamais la préciser.

«Vidéotron ne surveille pas l'utilisation d'un appareil par un client spécifique et ne détient aucune information quant à ses habitudes de consommation, a-t-on répondu par courriel. L'entreprise surveille plutôt les performances globales de ses plateformes de diffusion. Les renseignements qui sont détenus sur nos clients sont ceux qui sont relatifs à la location de films, en vidéo sur demande, et sont nécessaires pour des fins de facturation.»

Cette réponse de Vidéotron et la soumission de Bell au CRTC permettent toutefois de comprendre que les deux entreprises visent davantage à recueillir les données de l'ensemble de leurs abonnés qu'à étudier les habitudes d'un abonné en particulier.

Comment les télécoms vous suivent

Repérable en tout temps

Oui, votre opérateur mobile peut repérer votre appareil en tout temps. Mais non, vos déplacements ne sont pas enregistrés, assurent-ils tous.

Les capacités de repérage de votre position en temps réel ne sont employées qu'en cas d'urgence, «par exemple si quelqu'un part en randonnée et se perd», selon Luiza Staniec, porte-parole de Telus.

Telus n'exigera pas nécessairement des policiers qu'ils présentent un mandat si l'urgence est démontrée, mais insiste sur le fait qu'elle ne répond pas à toutes les questions des policiers.

La situation est similaire chez Bell, Rogers et Vidéotron.

La facture

À des fins de facturation, tous les réseaux enregistrent votre position au moment d'un appel ou d'un message texte. L'information n'est toutefois pas conservée de façon précise. Elle est transformée en un nom de ville, qui apparaît sur votre facture.

GPS ou triangulation?

Il y a deux façons pour un opérateur de réseau sans fil de connaître votre emplacement en utilisant votre téléphone mobile.

La plus facile est la triangulation. Lors de vos déplacements, votre appareil signale sa présence aux différentes antennes du réseau afin que les appels puissent lui être acheminés. Plus la tour est rapprochée, meilleur est évidemment le signal.

C'est donc en mesurant la force du signal entre votre appareil et deux ou trois de ses antennes qu'un opérateur est capable de calculer approximativement votre position.

Le repérage par GPS, lui, n'est employé que pour les appels au service 9-1-1.

9-1-1, une situation différente

Les règles du service 9-1-1 «évolué» mises en place par le CRTC font en sorte que votre position peut être déterminée par GPS dans le cas d'un appel d'urgence. Dans ce cas, le réseau interrogera votre téléphone intelligent équipé d'un capteur GPS. Si ce capteur est absent ou ne répond pas, on se rabattra sur la triangulation.

Tant l'opérateur que les gestionnaires du service 9-1-1 peuvent conserver cette position, parfois pendant plusieurs années. Bell affirme conserver ces renseignements pendant sept ans, contre un an pour Rogers.

Adresses internet: démontrer l'utilité

Pour pouvoir conserver une liste des sites internet qu'un de ses clients visite, un fournisseur d'accès devrait d'abord prouver l'utilité du procédé, explique Éloïse Gratton, avocate spécialisée en technologies de l'information et vie privée chez McMillan.

«Une entreprise ne peut pas amasser des renseignements qui ne sont pas nécessaires à son service», rappelle-t-elle.

Il serait possible d'amasser une liste d'adresses, mais sans les associer à des clients en particulier. Et encore là, il y aurait un risque, puisque les adresses elles-mêmes peuvent contenir des renseignements personnels.

L'historique d'internet reste privé

Que ce soit par mobile ou par le service résidentiel, Telus, Rogers et Vidéotron déclarent tous ne conserver aucun historique des sites web visités par leurs clients.

La situation est différente avec Bell, dont le programme de publicité pertinente (PPP) a fait la manchette l'an dernier. L'entreprise utilise les sites internet visités par ses clients mobiles pour établir des profils. Annonceurs et éditeurs de sites internet se voient ainsi offrir la possibilité de présenter des publicités mieux ciblées aux utilisateurs.